UNGROUND

 

Unground – Solo Show
Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain
December 8, 2012 – January 6, 2013
Curator: Kevin Muhlen
In alliance with Jason van Gulick, Stephen O’Malley and Amelia Ishmael.

Conversation entre Kevin Muhlen et Gast Bouschet

Kevin Muhlen : Unground est basé sur les notions de cycle et de continuité. Dans les images, que tu as réalisées en collaboration avec Nadine Hilbert, et leur symbolique on retrouve également les idées de fin et de début, de destruction et renouveau, de temporalité(s)… Après trois ans de travail et sa présentation au Casino Luxembourg, Unground est aujourd’hui pour vous plutôt un début ou une fin ?

Gast Bouschet : Exposer Unground dans les sous-sols du Casino était un accomplissement certain. Les conditions de présentation étaient très bonnes, tant au niveau technique qu’architectural. On n’a pas tous les jours l’occasion de travailler avec autant de projecteurs vidéo. Les caves du Casino se prêtaient à merveille pour articuler cet univers relatif au monde souterrain. Mais je pense qu’une immersion aussi profonde dans un travail ouvre des portes vers son au-delà et d’autres configurations seraient possibles. Ce qui nous intéresse, c’est d’activer des zones d’ombre comme espaces dynamiques et de conférer une dimension mythique à la vie urbaine contemporaine. En outre, il est vrai que notre travail artistique évolue en cycles, sans réel début ni fin. Tout est intrinsèquement lié.

KM : Restons un moment sur cette dimension mythique dont tu parles. Il serait évidemment facile, en référence notamment à l’aspect menaçant et (post-)apocalyptique de Unground, d’y voir un lien entre sa présentation en plein mois de décembre 2012 et la fin du monde annoncée par les mayas pour le 21 décembre 2012 justement. Toutefois, pour ma part, je pense que le public a plus naturellement projeté une lecture politique dans ce travail – la critique du capitalisme, de la mondialisation, etc. – plutôt que d’y déceler un quelconque mysticisme. Peux-tu nous en dire plus à ce sujet ?

GB : Si on peut parler de mysticisme dans notre travail, c’est d’un mysticisme sans dieu. Unground est une invocation métaphysique de forces naturelles. On veut capter l’image de quelque chose qui dépasse l’humain. Nous vivons à une époque qui donne l’impression que tout ce qui n’est pas humain est en train de disparaître : les espèces sauvages, la diversité des plantes, les glaciers et les calottes polaires, la nature elle-même. Cette sensation est globalement présente en ce début de 21e siècle, et c’est probablement un phénomène unique dans l’histoire de l’Homme. Nous considérons la dimension mythique dont je parlais comme une force révolutionnaire. Une énergie capable de transformer notre image du monde. Cette modification de la perception a bien sûr une dimension politique, car elle pointe vers une alternative à l’anthropocentrisme, la doctrine philosophique dominante qui positionne l’être humain au centre de tout. Dans des moments de transitions culturelles intenses, le rôle de l’artiste doit être redéfini. Je pense que l’art ne peut plus se contenter d’être ludique ou même critique aujourd’hui. Il faut viser une transformation psychologique profonde et une participation spirituelle à l’existence naturelle. L’expérience mythique est subversive et contestataire au milieu culturel contemporain car en dehors du concept de « projet » qui domine les pratiques artistiques et muséales actuelles. Le projet est la notion centrale du capitalisme moderne. Il est par définition à courte durée et exclut la profondeur et la continuité.

KM : En effet, il est évident que vos œuvres ne sont pas des cas isolés ou se rapportant à un état d’esprit passager. D’ailleurs, déjà dans vos travaux antérieurs la notion de « force naturelle » était sous-jacente. Je pense, par exemple, à Collision Zone qui s’inspire du mouvement des plaques tectoniques et de la collision des couches souterraines de notre planète. Il est évident que votre regard va bien au-delà de la simple beauté des images et qu’il puise au plus profond du sujet quand tu évoques les questions de mysticisme, de métaphysique et de dieu. Comment est née cette fascination pour les aspects bruts de la nature ?

GB : J’ai toujours été intéressé par les enjeux politiques et sociaux de ces questions. Lors de nos voyages, nous avons passé beaucoup de temps dans des espaces sauvages et nous avons vu comment ils se dénaturaient sous l’impact de la civilisation. Cela nous a marqués. C’est peut être aussi lié au fait que je viens d’une région – le bassin minier luxembourgeois – dont le paysage a été violemment transformé sous l’action de l’homme. Ma fascination pour les mythes des mondes souterrains vient probablement d’expériences vécues durant l’enfance et la jeunesse. Mais je pense que le mythe ne nécessite pas d’explication, seulement une attention pour ce qui se passe juste en dessous de notre seuil de conscience. Le mythe appelle à être vécu. L’art a un pouvoir transformatif. J’ai l’impression, peut-être naïve, qu’en transformant la perception d’un certain monde, nous transformons ce monde. Le modèle occidental a neutralisé le pouvoir visionnaire de l’art. La société moderne valorise la quantité. Il faut toujours plus, aller toujours plus vite. Les projets s’enchaînent. L’essentiel, c’est la succession et non la qualité des expériences vécues. Nous essayons de sortir des perspectives actuelles. Je pense que nous avons tous intérêt à nous poser la question de savoir quel est le rôle de l’art par rapport à la crise civilisatrice et écologique que nous subissons. Notre civilisation est profondément dysfonctionnelle. Nous avons accumulé un immense savoir durant les millénaires. Pourtant, nous vivons une époque de grand malaise psychologique. Qu’est-ce qui empêche l’être humain de suivre sa propre sagesse ? Cette question est autant spirituelle que politique.

Unground at Casino Luxembourg. Photo: Roger Wagner

KM : C’est d’ailleurs là un des aspects fascinants de votre travail : la cohabitation du spirituel et du politique. Dans l’art contemporain beaucoup de ce qui est considéré comme « art engagé » ou « art politique » se réfère à des situations du passé ou à des événements actuels – plus comme des commentaires directs sur l’histoire ou sur l’actualité. Dans votre travail, c’est cette vision à long terme qui crée une certaine distance visuelle entre le sujet et la représentation. Le détachement de la réalité, telle que nous la connaissons, rend les images abstraites alors même qu’elles sont issues d’une réalité bien présente. Rien n’est inventé. C’est un face-à-face avec une réalité que l’être contemporain à tendance à oublier, tellement il est noyé dans ses préoccupations quotidiennes et matérielles. Cette réalité, vous la renvoyez directement sans toutefois tomber dans le piège de la moralisation. S’agirait-il d’un memento mori de l’humanité ?

Par ailleurs, les idées de fin et de mort sont bien réelles dans votre travail. C’est cette vision noire du futur qui vous a valu des associations récentes avec le mouvement Black Metal qui, lui aussi, prône un retour aux valeurs originelles. Est-ce un milieu avec lequel vous pouvez vous identifier ?

GB : Interpréter notre travail comme un memento mori est tout à fait plausible, mais nous essayons aussi de mettre l’accent sur le rôle actif de l’art. Le prototype de l’artiste est le sorcier et le chaman. L’art peut être incroyablement puissant, mais je ne suis pas sûr que des actes symboliques suffisent aujourd’hui à faire évoluer l’humanité. Les esprits sont bien blindés et les gros intérêts politiques et économiques entretiennent le statu quo. Nous sommes tout le temps tiraillés entre les promesses d’un art cathartique et régénérateur et le pessimisme le plus profond. Afin de survivre, l’homme devrait élargir son horizon et mettre en place une politique qui respecte toutes les formes de vie. Mais est-ce que l’être humain est capable de penser et d’agir en dehors de ses intérêts immédiats ? Toute la question est là. Celle de savoir s’il n’est pas déjà trop tard, aussi. Je ne suis pas optimiste quant à la survie de notre civilisation. Nous sommes allés trop loin dans la destruction et le non-respect, et nous sommes d’ores et déjà en train de payer le prix. Pourtant, la chute de notre civilisation pourrait créer les conditions de flux nécessaires à la transformation et à la renaissance. Mais, encore une fois, serons-nous véritablement capables de penser au-delà de l’horizon humain ?

J’ai beaucoup parlé ces dernières années avec des artistes, des musiciens et des théoriciens sur ce que représente le Black Metal. Je ne sais pas où nous situer ; c’est complexe. Si on arrive à se mettre d’accord que le Black Metal est un mouvement païen qui, par un geste de nihilisme actif, vise à inverser les valeurs dominantes, je veux bien assumer ce rapprochement. Mais il y a tellement d’interprétations possibles. Toi-même, Kevin, tu es impliqué dans des musiques et des cultures extrêmes, tant dans ton rôle de musicien que dans celui de curateur ou d’organisateur d’expositions. Est ce que tu penses que la contreculture joue aujourd’hui un rôle déterminant dans la création de valeurs alternatives susceptibles d’amener des changements dans le développement humain ?

KM : C’est une vision optimiste et quelque peu idéaliste mais qui, en même temps, est aussi le moteur de ces contrecultures. Sans l’espoir de pouvoir changer ne fût-ce qu’une infime part des choses ou de toucher un public, aussi restreint soit-il, il n’y aurait pas de création possible. C’est précisément ce tiraillement dont tu parlais à l’instant qui est en jeu ici. Comment lutter contre le capitalisme et la mondialisation ?

En même temps, les mouvements alternatifs restent motivés par un idéalisme très prononcé. L’art, sous toutes ses formes, est une arme, non pas de défense mais de prise de conscience. C’est là où je rejoins ton idée d’art actif. Il est absolument nécessaire de répondre au monde, et l’art permet d’y répondre par de multiples moyens. Si, en parallèle, il invite des personnes à repenser ses valeurs, alors sa mission sera entièrement réussie. Que ce phénomène s’étende à l’échelle mondiale me paraît toutefois très peu probable car, après tout, nous parlons de contrecultures qui, au final, n’interpellent qu’un petit nombre de personnes.

Est ce que vous pratiquez le militantisme aussi à d’autres niveaux ? Il est évidemment présent conceptuellement dans vos œuvres. Mais, vous-mêmes, vous vous situez un peu en marge du marché de l’art et de son circuit « commercial ». Je suppose que c’est en accord avec les principes et idées véhiculés dans vos œuvres ?

GB : Oui, cet espoir est le moteur des scènes alternatives. Dans le Black Metal, ce qui me semble également important, c’est cette fierté, arrogante parfois, de se distancier du troupeau. D’ignorer la mentalité dominante qui dit, « il faut bien faire avec, de toute façon on ne peut rien y changer ». L’attitude élitiste et nietzschéenne du Black Metal, la volonté de surmonter la médiocrité et de créer le surhomme en soi est vraiment à part dans une société qui méprise les prises de position radicales et valorise la soumission pragmatique et le sarcasme.

Comment lutter contre le capitalisme et la mondialisation ? Cela semble à prime abord impossible aujourd’hui, car le capitalisme n’est plus une alternative économique parmi d’autres mais domine tout et est présent partout dans le monde. Je pense que chacun doit lutter dans son propre champ de compétence. En tant qu’artistes, nous avons choisi de lutter au sein de l’art. C’est vrai que nous nous tenons à distance du milieu commercial de l’art, et les quelques fois que nous avons exposé dans des galeries, nous avons proposé des travaux qui étaient difficiles à vendre. La question est de savoir si on est crédible en critiquant le système même dont on fait partie et qu’on alimente avec ses productions. Ce dilemme n’est pas nouveau, mais il est plus aigu que jamais. Chacun doit prendre ses propres décisions et vivre avec leurs conséquences.

Unground at Casino Luxembourg. Photo: Roger Wagner

KM : C’est en effet un dilemme qui semble souvent poser des problèmes fondamentaux et qui a déjà mené à des réactions très radicales. Je pense ici, par exemple, aux suicides et aux meurtres commis au sein de la scène Black Metal, souvent pour des raisons de trahison des valeurs originelles du mouvement, preuve directe de cette faiblesse dont tu parles. Un rapprochement qui me semble néanmoins intéressant entre le Black Metal (la musique) et vos œuvres, c’est la volonté d’« enlaidir » l’œuvre, de lui donner un caractère plus brut et d’échapper aux artifices possibles avec la technologie moderne. Alors que le son du Black Metal est souvent strident, rempli de nuisances et perché à des fréquences peu flatteuses pour la musique, Unground montre des images réalisées à travers un objectif maculé de cendres, rendant ainsi les images floues ou très noires. Nous sommes loin des artifices du HD ou des images de synthèse. C’est une volonté d’authenticité qui vient renforcer le pouvoir des images. Cette authenticité, conjuguée aux concepts idéologiques de votre art, transforme vos œuvres – en quelque sorte – en « Black Metal visuel ».

Votre prochain travail s’intitule Tempestarii. Unground nous a embarqué dans un voyage dans les entrailles les plus noires et profondes du monde, avec l’impression d’avoir été là où tout s’arrête. Qu’en est-il de Tempestarii ?

GB : Au début de notre entretien, nous avons parlé de cycles, de destruction et de renouveau. Tout ne s’arrête pas avec Unground. J’ai intérêt à ne pas trop aller dans les détails, car le nouveau film n’est pas encore terminé – mais bon, en voici les idées de base. Tempestarii est né du désir de soulever une tempête dans l’océan Arctique en s’inspirant de techniques de sorcellerie médiévale. C’est aussi en quelque sorte une réinterprétation du mythe de Sisyphe qui traite de l’absurdité des gestes et des efforts humains face à l’immuable réalité et de la confrontation des forces naturelles qui échappent complètement à notre contrôle. Réaliser le film est un grand défi pour nous, d’abord à cause des intempéries dans cette région et puis, parce le tournage implique une performance physique plutôt éprouvante. Il faut savoir qu’on travaille toujours seuls, sans équipe de tournage. Nous n’avons ni caméraman ni preneur de son, etc. Il n’y a que Nadine et moi, et si un de nous deux se mouille les pieds dans l’océan glacial afin de mettre en œuvre un rite païen, il ne reste plus grand monde pour faire le film. Donc, c’est dur, aussi en raison du manque de soutien financier. Mais en même temps, c’est très excitant à faire. Nous avons tourné une première partie du film en octobre/novembre 2012 et nous allons retourner en avril 2013 pour travailler sur la suite.

KM : Dernière question : lors de nos discussions, nous avons souvent parlé de tes lectures et de tes références en matière philosophique, mystique et politique. Quels sont tes livres de chevet actuels ou les incontournables auxquels tu reviens toujours ?

GB : Nietzsche est important. C’est intéressant de le relire du point de vue du 21e siècle. Georges Bataille, Antonin Artaud et William Burroughs ont été des références marquantes. Je lis des livres plus scientifiques aussi : Earth: An Intimate History, l’histoire de notre planète par Richard Fortey, ou Catching the Light d’Arthur Zajonc, qui analyse le phénomène de la lumière. J’ai lu aussi pas mal de bouquins sur l’alchimie: Mircea Eliade, Titus Burckhardt, Julius Evola (un personnage plus qu’ambigu, soit dit entre parenthèses). Frances Yates a écrit un beau livre sur Giordano Bruno et la tradition hermétique. Mary Douglas, une anthropologue, a écrit sur la souillure rituelle. Bref, il y en a beaucoup, j’aime beaucoup lire. Ces dernières années, je me suis beaucoup intéressé à un mouvement philosophique qui s’appelle « Speculative Realism ». Le livre qui m’a peut-être le plus épaté récemment est Cyclonopedia de Reza Negarestani.

KM : Gast, merci beaucoup pour cette conversation, qui permet une excellente approche de votre travail artistique et des principes et idéologies qui le sous-tendent. Bonne chance à toi et à Nadine pour la suite.

Conversation paru dans Traces. “Traces” est un magazine annuel dont le but est de documenter avec des articles de fond, des réflexions critiques, des entretiens ou des textes plus généraux, les expositions, activités et événements divers qui ont marqué l’année écoulée au Casino Luxembourg.

Unground at Casino Luxembourg. Play it LOUD.

Unground

Gespräch zwischen Kevin Muhlen und Gast Bouschet

Kevin Muhlen: Unground beruht auf der Idee von Kreislauf und Kontinuität. In den Bildern, die du zusammen mit Nadine Hilbert geschaffen hast, und ihrer Symbolik finden sich darüber hinaus die Vorstellungen von Ende und Anfang, Zerstörung und Erneuerung, von Temporalität(en). Ist Unground nach drei Jahren Arbeit und der Präsentation im Casino Luxembourg für euch heute eher ein Anfang oder ein Ende?

Gast Bouschet: Die Ausstellung von Unground in den Kellergewölben des Casino stellt in gewisser Weise eine Vollendung dar. Die Präsentationsbedingungen waren sehr gut, in technischer wie architektonischer Hinsicht. Es bietet sich einem nur selten die Gelegenheit, mit so vielen Videoprojektoren zu arbeiten. Die Gewölbe des Casino waren ideal, um diese unterirdische Welt zu zeigen. Allerdings glaube ich, dass ein so tiefes Eintauchen in ein Werk die Türen für etwas öffnet, das über dieses Werk hinausgeht, und sich damit neue Gestaltungsmöglichkeiten bieten. Uns geht es darum, dunkle Bereiche als dynamische Räume zu erschließen und dem zeitgenössischen urbanen Leben eine mythische Dimension zu verleihen. Im Übrigen entwickelt sich unsere künstlerische Arbeit tatsächlich in Zyklen ohne richtigen Anfang oder richtiges Ende. Eigentlich ist alles miteinander verbunden.

KM: Lass uns kurz zu der von dir erwähnten mythischen Dimension kommen. Angesichts des bedrohlichen und (post-)apokalyptischen Aspekts von Unground liegt eine Verbindung zwischen seiner Präsentation mitten im Dezember 2012 und dem exakt für den 21. Dezember 2012 von den Maya vorhergesagten Ende der Welt nahe. Ich glaube aber, dass das Publikum das Werk viel eher auf politische Weise – als Kritik am Kapitalismus, an der Globalisierung usw. – interpretiert und darin weniger einen wie auch immer gearteten Mystizismus erkannt hat. Kannst du uns dazu mehr sagen?

GB: Wenn es in unserer Arbeit um Mystizismus geht, dann um einen Mystizismus ohne Gott. Unground ist eine metaphysische Beschwörung der Naturgewalten. Wir wollen etwas als Bild erfassen, das über das Menschliche hinausgeht. Wir leben in einer Zeit, in der alles Nichtmenschliche im Verschwinden begriffen zu sein scheint: Wildtiere, Pflanzenvielfalt, Gletscher und Polkappen, die Natur an sich. Dabei handelt es sich jetzt, zu Beginn des 21. Jahrhunderts, um ein weltweites und vermutlich bisher einmaliges Phänomen in der Geschichte der Menschheit. Wir betrachten die mythische Dimension, von der ich sprach, als revolutionäre Kraft. Eine Energie, die unser Bild von der Welt verändern kann. Diese Änderung in der Wahrnehmung hat natürlich eine politische Dimension, denn sie weist eine Alternative zum Anthropozentrismus auf, jener philosophischen Lehre, die den Menschen in den Mittelpunkt der Welt stellt. In Zeiten großer kultureller Veränderungen muss die Rolle des Künstlers neu definiert werden. Meiner Ansicht nach kann die Kunst sich heute nicht mehr damit begnügen, spielerisch oder kritisch zu sein, sondern muss einen tiefgehenden psychologischen Wandel und eine spirituelle Teilhabe am natürlichen Leben anstreben. Für das zeitgenössische kulturelle Umfeld ist die mythische Erfahrung subversiv und rebellisch, denn sie ist außerhalb des Konzepts vom „Projekt“ verortet, das die gegenwärtige künstlerische und museale Praxis beherrscht. Das Projekt ist die zentrale Idee des modernen Kapitalismus, die, per definitionem von kurzer Dauer, jegliche Tiefe und Kontinuität ausschließt.

KM: In der Tat ist offensichtlich, dass eure Arbeiten keine isolierten „Einzelstücke“ darstellen und ihnen nichts Flüchtiges anhaftet. So war die Idee der „Naturgewalt“ bereits in früheren Arbeiten unterschwellig vorhanden. Ich denke dabei beispielsweise an Collision Zone, eine Arbeit, in der es um Plattentektonik und die Kollision der Kontinentalplatten geht. Euer Blick reicht eindeutig über die reine Schönheit der Bilder hinaus und taucht, wenn du Aspekte wie Mystizismus, Metaphysik und Gott ansprichst, tief in ein Thema ein. Woher stammt diese Faszination für die rohen Seiten der Natur?

GB: Ich habe mich schon immer für die politischen und sozialen Aspekte dieser Fragen interessiert. Auf unseren Reisen haben wir sehr viel Zeit in der Wildnis verbracht und häufig mitansehen müssen, wie diese durch die Folgen der Zivilisation ihre Natürlichkeit verliert. Das hat uns nachhaltig geprägt. Vielleicht hat es auch damit zu tun, dass ich aus einer Region komme – dem luxemburgischen Bergbaurevier –, in deren Landschaft der Mensch gewaltsam eingegriffen hat. Meine Faszination für die Mythen der Unterwelt geht wahrscheinlich auf Kindheits- und Jugenderlebnisse zurück. Ich glaube jedoch nicht, dass der Mythos eine Erklärung benötigt, lediglich Aufmerksamkeit für das, was unterhalb unserer Bewusstseinsschwelle vor sich geht. Der Mythos möchte erlebt werden. Die Kunst hat eine transformative Kraft. Ich habe den Eindruck, mag er auch naiv sein, dass wir eine Welt verändern können, indem wir ihre Wahrnehmung ändern. Das westliche Modell hat die visionäre Kraft der Kunst neutralisiert. In der modernen Gesellschaft wird die Quantität honoriert. Immer muss es mehr geben, immer schneller gehen. Ein Projekt kommt nach dem anderen. Das Wichtige ist die Aneinanderreihung von Erlebnissen, nicht ihre Qualität. Wir versuchen, uns von den gegenwärtigen Perspektiven zu befreien. Ich denke, uns allen geht es um die Frage, welche Rolle der Kunst in der aktuellen zivilisatorischen und ökologischen Krise zukommt. Unsere Zivilisation ist zutiefst dysfunktional. Wir haben über die Jahrtausende ein enormes Wissen angehäuft, und dennoch erleben wir eine Zeit größter psychologischer Not. Was hindert den Menschen daran, seiner eigenen Weisheit zu folgen? Diese Frage ist spirituell und politisch zugleich.

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KM: Das ist im Übrigen eine der faszinierenden Seiten eurer Arbeit: das Zusammenspiel des Spirituellen und des Politischen. Vieles in der zeitgenössischen Kunst, das gemeinhin als „engagierte“ oder „politische Kunst“ gilt, bezieht sich auf Situationen in der Vergangenheit oder auf aktuelle Ereignisse und weniger auf direkte Kommentare zur Geschichte oder zum Tagesgeschehen. Bei eurer Arbeit erzeugt die langfristige Sichtweise eine gewisse visuelle Distanz zwischen dem Thema und seiner Darstellung. Die Abspaltung von der Realität, wie wir sie kennen, lässt die Bilder abstrakt werden, obwohl sie aus einer konkreten Realität stammen. Nichts ist erfunden. Es handelt sich um die direkte Konfrontation mit einer Realität, die der moderne Mensch sehr leicht vergisst, weil er so dermaßen mit den alltäglichen, materiellen Dingen beschäftigt ist. Ihr spiegelt diese Realität direkt wider, ohne euch jedoch zum Moralapostel aufzuschwingen. Handelt es sich um ein memento mori der Menschheit?
Die Vorstellung von Ende und Tod ist in euren Arbeiten überhaupt sehr real. Diese düstere Zukunftsvision hat auch zu den aktuellen Verbindungen mit der Black-Metal-Bewegung geführt, die ebenfalls eine Rückbesinnung auf die alten Werte predigt. Könnt ihr euch mit dieser Szene identifizieren?

GB: Eine Interpretation unserer Arbeit als memento mori ist durchaus plausibel, doch möchten wir auch die aktive Rolle der Kunst hervorheben. Der Prototyp eines Künstlers ist der Magier und Schamane. Kunst kann eine unglaubliche Macht haben, aber ich bin mir nicht sicher, ob symbolische Gesten heutzutage ausreichend sind, um die Menschheit weiterzubringen. Wir sind geistig abgestumpft, und die großen politischen und wirtschaftlichen Interessen sorgen für die Aufrechterhaltung des Status quo. Wir sind hin und her gerissen zwischen den Versprechen einer kathartischen, regenerativen Kunst und tiefem Pessimismus. Um überleben zu können, müsste der Mensch seinen Horizont erweitern und eine Politik verfolgen, die alle Lebensformen respektiert. Doch ist der Mensch in der Lage, über sein unmittelbares Interesse hinaus zu denken und zu handeln? Das ist die entscheidende Frage. Und ob es nicht vielleicht schon zu spät ist. Ich bin nicht sehr optimistisch, was das Überleben unserer Zivilisation anbetrifft. Wir sind mit unserer Zerstörung und unserer Missachtung zu weit gegangen, und den Preis dafür zahlen wir schon jetzt. Doch der Niedergang unserer Zivilisation könnte auch die notwendigen Voraussetzungen für Wandel und Wiedergeburt schaffen. Aber auch hier stellt sich die Frage, ob wir wirklich dazu fähig sind, über den menschlichen Horizont hinaus zu denken.
Ich habe in den letzten Jahren viel mit Künstlern, Musiker und Theoretikern über die Black-Metal-Bewegung gesprochen. Ich weiß nicht, wo ich uns ansiedeln soll; es ist kompliziert. Wenn wir uns darauf einigen können dass Black Metal eine heidnische Bewegung ist, die mittels einer Geste des aktiven Nihilismus die herrschenden Werte umzukehren versucht, akzeptiere ich diese Annäherung. Es gibt aber viele verschiedene Interpretationsmöglichkeiten. Kevin, du kennst dich aus mit extremen Musikrichtungen und Kulturen, in deiner Eigenschaft als Musiker, aber auch als Kurator oder Organisator von Ausstellungen. Glaubst du, dass Gegenkultur heutzutage eine entscheidende Rolle spielt, wenn es darum geht, alternative Werte zu schaffen, die Veränderungen in der menschlichen Entwicklung bewirken können?

KM: Das ist eine optimistische und ein wenig idealistische Sichtweise, zugleich aber genau das, was diese Gegenkulturen antreibt. Ohne die Hoffnung, etwas ändern zu können, und sei es auch noch so gering, oder ein Publikum zu erreichen, wie klein dieses auch sein mag, wäre kreatives Schaffen nicht möglich. Es geht um dieses Hin- und Hergerissensein, von dem du eben sprachst. Wie soll man gegen den Kapitalismus und die Globalisierung kämpfen?
Die alternativen Bewegungen sind jedoch nach wie vor durch einen ausgeprägten Idealismus motiviert. Die Kunst in all ihren Formen ist eine Waffe, nicht zur Verteidigung, sondern zur Bewusstseinswerdung. Hier stimme ich dir zu, was deine Vorstellung von aktiver Kunst anbetrifft. Es ist absolut notwendig, der Welt zu entgegnen, und die Kunst ermöglicht eine Entgegnung mit den verschiedensten Mitteln. Wenn sie die Leute außerdem noch dazu anregt, ihre Werte zu überdenken, wäre ihre Mission vollständig geglückt. Doch scheint es mir wenig wahrscheinlich, dass sich dieses Phänomen auf die ganze Welt übertragen lässt, denn schließlich geht es hier um Gegenkulturen, die letztendlich nur eine kleine Schar von Leuten ansprechen.
Praktiziert ihr “Militanz” auch auf anderer Ebene? Als Konzept ist sie offensichtlich in euren Arbeiten vorhanden. Aber ihr selbst seid ein wenig am Rande des Kunstmarktes und seines „kommerziellen“ Kreislaufes angesiedelt. Ich vermute, das geschieht in Übereinstimmung mit den Prinzipien und Ideen, die ihr in euren Werken vermittelt?

GB: Ja, genau diese Hoffnung treibt die alternativen Szenen an. Am Black Metal scheint mir außerdem dieser bisweilen arrogante Stolz wichtig zu sein, sich vom Rest der Herde zu distanzieren, die herrschende Mentalität zu ignorieren, der zufolge man sich besser mit etwas abfindet, weil man eh nichts ändern kann. Die elitäre, Nietzsche’sche Haltung des Black Metal, der Wunsch, das Mittelmaß zu überwinden und den Übermenschen an sich zu schaffen, steht in der Tat abseits einer Gesellschaft, in der radikale Positionen verachtet und pragmatische Unterwerfung und Sarkasmus geschätzt werden.
Wie soll man gegen den Kapitalismus und die Globalisierung kämpfen? Das scheint heutzutage auf den ersten Blick unmöglich, ist der Kapitalismus doch längst nicht mehr eine von vielen wirtschaftlichen Alternativen, sondern allesbeherrschend und weltweit präsent. Meiner Ansicht nach muss jeder in seinem eigenen Kompetenzbereich kämpfen. Wir als Künstler haben uns entschieden, im Innersten der Kunst zu kämpfen. Es stimmt, wir halten Distanz zum kommerziellen Umfeld der Kunst, und bei unseren wenigen Galerieausstellungen haben wir bisher Arbeiten gewählt, die schwer zu verkaufen waren. Die Frage ist doch, ob man glaubhaft ist, wenn man das System kritisiert, zu dem man selbst gehört und das man mit seinen Produktionen unterstützt. Dieses Dilemma ist nicht neu, aber akuter als je zuvor. Jeder muss eine eigenen Entscheidungen treffen und mit den Konsequenzen leben.

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KM: Dieses Dilemma scheint in der Tat häufig für schwere Probleme zu sorgen und hat schon sehr radikale Reaktionen hervorgerufen. Ich denke hier beispielsweise an Selbstmorde und Morde innerhalb der Black-Metal-Szene, häufig als Reaktion auf den Verrat ursprünglicher Werte der Bewegung, ein direkter Beweis für die von dir erwähnte Schwäche. Ich finde jedoch eine Gemeinsamkeit zwischen Black Metal (der Musikrichtung) und euren Werken interessant, und zwar den Wunsch, das Werk zu „verunstalten“, es roher erscheinen zu lassen und auf die Tricks moderner Technik zu verzichten. Während der Sound von Black Metal häufig schrill und voller Störfaktoren ist und sich in musikalisch wenig schmeichelhaften hohen Frequenzbereichen bewegt, zeigt Unground Bilder, die mittels eines mit Asche verschmutzten Objektivs aufgenommen wurden, wodurch sie verschwommen oder stark geschwärzt sind. Kein Vergleich mit HD oder synthetischen Bildern. Die Macht der Bilder wird durch den Willen zur Authentizität noch verstärkt. Es ist diese Authentizität, in Verbindung mit den ideologischen Konzepten eurer Kunst, die eure Werke – in gewisser Hinsicht – in „visuelles Black Metal“ verwandelt.
Eure nächste Arbeit heißt Tempestarii. Unground hat uns auf eine Reise in das tiefste, schwärzeste Innere der Erde geführt, mit dem Eindruck, dort gewesen zu sein, wo alles endet. Worum geht es bei Tempestarii?

GB: Zu Beginn unseres Gesprächs ging es um Kreisläufe, Zerstörung und Erneuerung. Unground ist nicht das Ende. Ich möchte nicht zu sehr ins Detail gehen, denn der neue Film ist noch nicht fertig, aber die Grundidee ist folgende: Tempestarii ist aus dem Wunsch entstanden, einen Sturm im Nordpolarmeer hervorzurufen, angelehnt an Methoden mittelalterlicher Hexenkunst. In gewisser Weise handelt es sich auch um eine Neuinterpretation des Sisyphos-Mythos, wo es um die Absurdität menschlicher Handlungen und Bemühungen angesichts der unveränderlichen Realität geht sowie um die Konfrontation mit den Naturgewalten, die sich unserer Kontrolle vollständig entziehen. Der Film ist eine große Herausforderung, zum einen wegen der Wetterlage in dieser Gegend, zum anderen, weil die Dreharbeiten einem körperlich Einiges abverlangen. Wir arbeiten nämlich stets allein, ohne Filmteam. Wir haben weder einen Kamera- noch einen Tonmann oder sonst irgendjemanden. Nadine und ich sind ganz allein, und wenn einer von uns sich bei der Inszenierung eines heidnischen Ritus im eiskalten Meer nasse Füße holt, bleiben nicht mehr viel übrig, um mit dem Film weiterzumachen. Es ist also hart, auch wegen der fehlenden finanziellen Unterstützung. Zugleich ist es aber auch sehr aufregend. Im Oktober/November 2012 haben wir den ersten Teil des Films gedreht, und im April 2013 wollen wir wieder hin, um weiterzudrehen.

KM: Letzte Frage: Bei unseren Gesprächen haben wir häufig von deiner Lektüre und deinen Quellen in den Bereichen Philosophie, Mystik und Politik gesprochen. Was liegt derzeit auf deinem Nachtisch bzw. gibt es Bücher, auf die du immer wieder zurückkommst?

GB: Nietzsche ist wichtig. Es ist interessant, ihn noch einmal neu aus dem Blickwinkel des 21. Jahrhunderts zu lesen. Georges Bataille, Antonin Artaud und William Burroughs waren wichtige Quellen. Ich lese auch wissenschaftlichere Bücher: Earth: An Intimate History, die Geschichte unseres Planeten von Richard Fortey, oder Catching the Light von Arthur Zajonc, der das Phänomen Licht analysiert. Außerdem habe ich so einige Bücher über die Alchemie gelesen: Mircea Eliade, Titus Burckhardt, Julius Evola (eine mehr als zweifelhafte Gestalt, unter uns gesagt). Frances Yates hat ein schönes Buch über Giordano Bruno und die hermetische Tradition verfasst. Mary Douglas, eine Anthropologin, hat über die rituelle Verunreinigung geschrieben. Kurz gesagt, ich lese viel und gern. In den letzten Jahren habe ich mich sehr für eine philosophische Strömung interessiert, die sich „Spekulativer Realismus“ nennt. Das Buch, das mich in letzter Zeit vielleicht am meisten beeindruckt hat, ist Cyclonopedia von Reza Negarestani.

KM: Gast, vielen Dank für das Gespräch, das einen ausgezeichneten Einblick in eure künstlerische Arbeit und die ihr zugrunde liegenden Prinzipien und Ideologien vermittelt hat. Ich wünsche dir und Nadine auch für die Zukunft viel Erfolg.

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Press release

Gast Bouschet & Nadine Hilbert – Unground

The audio-video installation Unground by Gast Bouschet and Nadine Hilbert is displayed in the historic cellars of Casino Luxembourg, the unique atmosphere of the place – which is similar to that found in grottoes and caverns – perfectly combining with the dark and offbeat universe conveyed by the artistic duo. The whole installation, conceived as an empirical artwork, should be experienced as a progressive descent or an immersion in a particular world.

Between 2010 and 2012, Gast Bouschet and Nadine Hilbert shot videos in London and Iceland. Unground thus begins with sequences filmed at the heart of the financial district of the “City” and Canary Wharf, staging the actors of finance, the agitated flux of a population at the centre of the urban milieu. Disturbing images in black and white set the tone for a reflection on the deviant convulsions of the world economy. The more we plunge into the dark recesses of the cellar, the more city life recedes to be replaced by volcanic landscapes, glaciers and other wastelands in Iceland. The trail takes in typical landscapes that both unite and oppose the financial world (with its day to day precarity) and nature in its most basic condition of strength.

In 2010, the eruption of the Icelandic volcano Eyjafjöll and the resulting cloud of ashes paralysed European air traffic. Bouschet and Hilbert were fascinated by the enormous impact natural forces exert on the course of human affairs and wanted to visually signify this symbolism by placing volcanic ash and ice on the lens for each shoot. This process created dark or even opaque areas in the images, conferring a blurred and non-transparent vision on the takes and disturbing our visual bearings. According to the artists, it is a “piece about the profound crisis of perception we are going through.” (Gast Bouschet). Through the world thus manifested, the artists engage in a metaphysical reflection on the “archaic” forces which determine consciousness and reality.

The images coupled with the music engender both the cognitive process and physical sensations. The videos were coupled with sound and put to music by Jason van Gulick for the London sequences and by Stephen O’Malley for the second part of the exhibition – with the aim of confronting two distinct musical universes. The tormented, syncopated rhythms of the drums (van Gulick) reply to the agitation of the city at the beginning of the trail. The images become gradually more abstract while time and movement slow down and the sounds darken and become heavier (O’Malley). A concert-performance by Jason van Gulick and Stephen O’Malley has been programmed for Friday 4 January 2013, providing an opportunity for spectators to immerse themselves in the universe of Unground.

Communiqué de presse

Gast Bouschet & Nadine Hilbert – Unground

L’installation audio-vidéo Unground de Gast Bouschet et Nadine Hilbert est présentée dans les caves historiques du Casino Luxembourg, l’atmosphère unique du lieu – semblable à celle de grottes et de cavernes – se mariant parfaitement à l’univers, sombre et décalé, véhiculé par le duo d’artistes. Pensé comme une oeuvre empirique, l’ensemble de l’installation doit être vécu telle une descente progressive, voire une immersion dans les profondeurs d’un monde particulier.

De 2010 à 2012, Gast Bouschet et Nadine Hilbert ont tourné les vidéos à Londres et en Islande. Unground débute ainsi avec des séquences prises au coeur du quartier financier de la « City » et de Canary Wharf, mettant en scène les acteurs de la finance, le flux agité d’une population au sein du milieu urbain. Les images troubles en noir et blanc sont placées sous le signe d’une réflexion autour des soubresauts déviants de l’économie mondiale. Plus on s’enfonce dans les recoins sombres des caves, plus la vie citadine s’éloigne pour laisser place aux paysages volcaniques, glaciers et autres terrains vagues d’Islande. Le parcours se décline à travers des paysages typés qui à la fois unissent et opposent le monde financier et sa précarité quotidienne, et la nature dans sa force la plus brute.

En 2010, l’éruption du volcan islandais Eyjafjöll et le nuage de cendres qui en résulta, avaient paralysé le trafic aérien européen. Fascinés par l’impact énorme qu’ont les forces naturelles sur le déroulement des affaires humaines, Gast Bouschet et Nadine Hilbert ont voulu signifier visuellement cette symbolique en apposant de la poussière volcanique et de la glace à même l’objectif avant tout filmage. Ce procédé engendre des zones noircies voire opaques dans les images, conférant une vision floue et non-transparente aux prises de vues, mettant à mal nos repères visuels. Par ailleurs, pour les artistes, il s’agit d’un « travail sur la crise de perception profonde que nous sommes en train de vivre. » (Gast Bouschet). À travers ce monde ainsi manifesté, les artistes poursuivent une réflexion d’ordre métaphysique sur les forces « archaïques » qui déterminent conscience et réalité.

Les images couplées à la musique engendrent à la fois des processus cognitifs et des sensations physiques. Les vidéos ont été sonorisées et mises en musique par Jason van Gulick pour les séquences londoniennes et par Stephen O’Malley pour la deuxième partie de l’exposition dans un but de confrontation deux univers musicaux bien distincts. Les rythmes saccadés et tourmentés de la batterie (van Gulick) répondent à l’agitation de la ville en début de parcours. Au fur et à mesure les images deviennent plus abstraites, le temps et le mouvement se ralentissent, les sons s’assombrissent et s’alourdissent (O’Malley). Un concert-performance de Jason van Gulick et Stephen O’Malley est organisé le vendredi 4 janvier 2013, offrant la possibilité au spectateur de s’immerger dans l’univers d’Unground.

Booklet page

En haut comme en bas?

Unground est de l’ordre du sublime. C’est probablement ainsi que Edmund Burke, Immanuel Kant ou encore Arthur Schopenhauer1, entre autres, l’auraient qualifiée. Difficile, en effet, de parler de « beauté » en rapport avec cette installation – dont, d’ailleurs, ce n’est nullement le propos. L’atmosphère pesante et menaçante qui se dégage des visions (post-)apocalyptiques de Unground ferait plutôt naître une terrifiante fascination.

Notre monde – contemporain – s’y présente sous son aspect le plus noir, dépourvu de toute humanité. Tout s’y ressemble et se confond, baigné dans une masse brumeuse qui évolue de manière menaçante. Ce monde qui ne dort jamais est plongé dans une nuit profonde interrompue çà et là par des constellations artificielles. Le soleil ne rythme plus les journées depuis longtemps : relégué au second rôle, il évolue derrière des murs de pollution et brille timidement telle une lune diurne. Les palais de verre du monde financier, joyaux de l’architecture contemporaine et temples de lumière s’élevant vers le ciel, y sont réduits à l’image de forteresses médiévales, tandis que les traders tirés à quatre épingles deviennent des guerriers contemporains sans visage, se déplaçant en hordes noires. Des chiffres codifiés défilent 24 heures sur 24 tels des cris de ralliement. Lumière aveuglante et sons stridents résonnent comme des sirènes d’alarme prévenant d’un danger imminent. Le combat n’est plus militaire ou industriel ; la guerre se fait sous-jacente ; les centres boursiers sont devenus les terrains d’un affrontement silencieux et immatériel.

Unground expose la superficialité de notre société capitaliste de consommation sous son aspect le plus hideux. L’armure si lisse en apparence, créée par l’être humain, est écorchée pour en exposer les entrailles. Unground pousse à la fuite ; pourtant, alors que l’incompréhension des mécanismes de transformation capitalistes s’avère envoûtante, la chute imminente de cet empire financier nous garde en haleine tel un feu d’artifice spectaculaire dans l’attente du grand finale.

La fuite entraîne une descente sous terre. Des silhouettes noires semblent se précipiter vers un abri souterrain, loin de cette surface prête à exploser. Sous ce monde en éruption nous retrouvons la nature brute, troublante et intimidante, sublime dans sa force et sa grandeur. Nous évoluons en surface, souvent inconscients des strates souterraines qui forment et soutiennent notre terre. Univers mystérieux qui nous supporte et nous tolère, royaume abyssal d’une supériorité majestueuse, entièrement détaché de nos préoccupations quotidiennes. Parfois il nous rappelle à l’ordre par une manifestation de sa présence, paralysant, temporairement ou à tout jamais, la vie alentours. Sublime tant par sa quiétude que par son caractère menaçant ; sublime par sa démesure et sa persistance ; sublime par son intemporalité.

Le temps quasi figé qui règne dans ce monde des ténèbres met en abyme l’insignifiance et la volatilité du monde en surface, où la vie se vit à un rythme effréné et subit des mutations permanentes. Les sens y sont exaltés : la vision est stimulée par un jeu subtil entre obscurité totale et puits de lumière hypnotiques scintillant tel un soleil noir ; l’ouïe est portée par les résonances caverneuses de sons lointains. Les transformations y sont lentes, imperceptibles, s’étalant sur la durée d’une vie, d’une génération ou d’une civilisation. Malgré les événements et les bouleversements climatiques, politiques et sociaux qui influencent le développement et l’aspect du monde en surface, le monde souterrain reste inébranlé et continue de se renouveler selon son rythme et son gré, entièrement détaché de notre réalité superficielle. Deux mondes diamétralement opposés coexistent et évoluent ensemble mais à des temporalités antinomiques.

Unground nous place dans un contexte hors-temps et hors-espace. En s’y enfonçant peu à peu, le temps ne semble plus importer, la frénésie du monde contemporain disparaît dans un gouffre qui absorbe et consomme. La provenance des images perçues devient incertaine, de même que leur origine. Sommes-nous témoins d’un chaos latent et d’une catastrophe imminente provoquée par notre société contemporaine si encline à l’autodestruction ? Ou sommes-nous plutôt face à des images d’une société engloutie par une nature ayant repris le dessus ? Ou alors s’agit-il de visions prophétiques d’un futur lointain ? En fin de compte, l’ordre des événements importe peu compte tenu du caractère cyclique des choses.

Unground met en avant les forces ancestrales déviées, réappropriées et transformées par les « sorciers » du capitalisme dans le but de prendre le contrôle sur cette nature indomptable, de s’enrichir de ses trésors et d’occuper l’espace pour en épuiser les ressources. Mais la nature, une fois dépouillée par l’homme, se renouvellera, quand elle le voudra et à son rythme, indifférente aux pertes en surface. L’être humain, quant à lui, avancera inévitablement et une fois de plus vers sa propre perte. L’histoire montre que des ères, des civilisations naissent et disparaissent en permanence. L’homme contemporain, dans sa poursuite d’un capitalisme effréné, pense-t-il vraiment pouvoir échapper à son déclin préprogrammé ? Une infime part de nous-mêmes, aussi enfouie soit-elle, souhaiterait – et ne serait-ce que par pure curiosité – être le témoin de la chute de ce règne capitaliste, quitte à y succomber. Peut-être aurions-nous même envie de la provoquer, afin d’assister à la naissance d’une nouvelle conscience – ou civilisation – tournée vers une réalité plus proche des valeurs originelles ancrées dans notre terre. L’effroi du néant laisse place à une fascination pour un futur incertain : « Tout ce qui est propre à susciter d’une manière quelconque les idées de douleur et de danger, c’est-à-dire tout ce qui est d’une certaine manière terrible, tout ce qui traite d’objets terribles ou agit de façon analogue à la terreur, est source du sublime ; (…)2. »

Kevin Muhlen, Commissaire

1 Références à : Edmund Burke, Recherche philosophique sur l’origine de nos idées du sublime et du beau (1757) ; Immanuel Kant, Observations sur le sentiment du beau et du sublime (1764) et Critique de la faculté de juger (1790) ; Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation (1819).
2 Edmund Burke, Recherche philosophique sur l’origine de nos idées du sublime et du beau, Section VII, Paris, Pichon, 1803, p. 69.

Unground – Booklet
(FR/GB: 148 x 210 mm: textes d’Amelia Ishmael et Kevin Muhlen: éd. Casino Luxembourg)

As above so Below?

Unground is akin to the sublime. Edmund Burke, Immanuel Kant or Arthur Schopenhauer,1 for example, probably would have described it that way, for it is difficult to speak of “beauty” in regard to this installation – which, in any case, is not its point. The oppressive, threatening atmosphere that emanates from the (post)apocalyptic visions of Unground is more likely to induce a terrifying fascination.

Our – contemporary – world is depicted at its very worst, devoid of all humanity. It all looks the same and runs together, bathed in a hazy mass that unfolds with an air of menace. This world that never sleeps is immersed in a deep, dark night interrupted here and there by artificial constellations. The sun has long since ceased to regulate the days: relegated to a supporting role, it lies behind walls of pollution and glimmers timidly, like a daytime moon. The glass palaces of finance, gems of contemporary architecture and skyward-stretching temples of light, are reduced to the image of medieval fortresses, while the impeccably dressed traders become faceless modern warriors, moving in black hordes. Symbols and figures scroll by like rallying cries 24 hours a day. Blinding light and piercing noise resonate like emergency sirens warning of imminent danger. The combat is no longer military or industrial; war has taken a backseat; stock markets have become the battlegrounds of a silent, intangible confrontation.

Unground exposes the superficiality of our capitalistic consumer society at its ugliest. The sleek-looking armour, created by humans, is stripped away to lay bare the entrails. Unground incites flight; and yet, while the inscrutable capitalist mechanisms of change may be spellbinding, the looming collapse of this financial empire keeps us on the edge of our seats, as if waiting for the grand finale of a spectacular fireworks show.

Flight leads to a descent below ground. Black silhouettes seem to rush toward an underground shelter, far from the surface about to explode. Beneath the erupting world we find troubling, intimidating untamed nature, sublime in its power and grandeur. We live on the surface, often unaware of the subterranean strata that form and uphold our earth. Mysterious realms that support and tolerate us, an abyssal kingdom of majestic superiority, utterly detached from our quotidian concerns. From time to time it calls us to order by manifesting its presence, temporarily or permanently paralyzing life around it. Sublime in both its stillness and its fearsomeness; sublime in its excess and its persistence; sublime in its timelessness.

The near-static time that reigns in this world of shadows mirrors the insignificance and volatility of the surface world, where life is lived at a frantic pace and undergoes irreversible mutations. The senses are heightened: sight is stimulated by a subtle play between total darkness and hypnotic skylights sparkling like a black sun; hearing is seized by cavernous echoes of distant sounds. Transformations there are slow, imperceptible, spread over the lifetime of a person, a generation or a civilization. Despite the climate-related, political and social events and disruptions that influence the development and appearance of the surface world, the underground world remains unshaken and continues to renew itself in its own way at its own pace, completely divorced from our aboveground reality. Two diametrically opposed worlds coexist and operate together, but in antinomic temporalities.

Unground takes us to a place outside of time and space. As we gradually move into it, time seemingly ceases to matter, the frenzy of today’s world disappears in an all-absorbing, consuming abyss. The source and origin of the perceived images become unclear. Are we witnessing latent chaos and imminent catastrophe caused by a contemporary society hell-bent on self-destruction? Or are we seeing images of a society engulfed by a nature that has regained the upper hand? Or are they prophetic visions of a far-off future? Ultimately, the order of events is of little consequence, given the cyclical way of things.

Unground underscores the ancestral powers diverted, appropriated and transformed by the “sorcerers of capitalism” seeking to take control of indomitable nature, to get rich with its treasures and to occupy the space so as to exhaust its resources. But nature, stripped bare by humankind, will spring up again, when and how it pleases, indifferent to superficial losses, while humans advance inevitably, once again, toward their own ruin. History shows that eras and civilisations are born and die continually. Does contemporary humankind, in its pursuit of unbridled capitalism, really believe that it can escape its preprogrammed decline? A tiny part of ourselves, no matter how deeply buried, would like to witness the collapse of the capitalist reign – if only out of pure curiosity and even if it entails our own downfall. We might even be tempted to provoke it, in order to witness the birth of a new conscience – or civilisation – focused on a reality closer to the ancient values rooted in our earth. The dread of nothingness gives way to a fascination with an uncertain future: “Whatever is fitted in any sort to excite the ideas of pain and danger, that is to say, whatever is in any sort terrible, or is conversant about terrible objects, or operates in a manner analogous to terror, is a source of the sublime.”2

Kevin Muhlen, curator

Translated from the French bei Marcia Couëlle

1 References: Edmund Burke, A Philosophical Enquiry into the Origin of our Ideas of the Sublime and Beautiful (1757); Immanuel Kant, Observations on the Feeling of the Beautiful and Sublime (1764) and Critique of Judgement (1790) ; Arthur Schopenhauer, The World as Will and Representation (1819).
2 Edmund Burke, A Philosophical Enquiry into the Origin of our Ideas of the Sublime and Beautiful, Section VII (New York: Oxford University Press, [1757] 2009), p. 36.

Booklet page

Gast Bouschet & Nadine Hilbert
Unground

When the skies have turned black with ash we must go down. When our eyes strain to glimpse the stars above we must go down. When the welfare of flora and fauna is decimated by climate change we must go down. When life’s direct path is extinguished and individual potential lost we must go down. When we have forgotten what sorcery conducts our economic, political, and cultural systems we must go down. We must go down. Down. Down. Like the engineer into the boiler room, like the Mayan priest below the temple, like the psychologist into the psyche. Down.

This katabasis, this descent into the underworld, has been traversed by heroes, warriors, and philosophers throughout history. It is a necessary expedition. For, as the French mystic Simone Weil discerned, “There is a resemblance between the lower and higher.” She advised: “May that which is low in us go downwards so that what is high can go upwards. For we are wrong side upward. We are born thus.”1 As we approach the fissure between Casino Luxembourg and the caves below, we might call upon the brave explorers who have preceded us—Osiris, Odysseus, Plato, Friedrich Nietzsche, Carl Jung, Joseph Beuys. They may be our companions here.

Conjuring light and sound, the artists Gast Bouschet and Nadine Hilbert have allied with the musicians Stephen O’Malley and Jason van Gulick to describe the enigmatic terrains of the Unground within the caves below Casino Luxembourg. There are seven known caverns here. In the first you will find yourself amid one of the largest capitalist centers of the current era. A society of sorcerers has unleashed a spell here that takes possession over most of this realm. To witness its effects we must travel underneath the city and investigate its subterranean foundations. It is an arduous endeavor to maneuver this dark space, but it must be overcome. We will encounter nocturnal creatures who dwell within this archaic mineral region. Like them, you must develop a clairvoyant sensitivity to the unknown, an intuition that is often suppressed. From here you must go alone—across the frozen rivers, through the primordial winds, into volcanic passageways, and beyond the glacial wastelands. These caverns are necessarily fluid, shifting, and bewildering. You must find your own path. Along the way you shall discover the new realities, freedoms, and creative potentials contained within the Unground.

Crossing the Threshold

The journey begins with a descent, initiated by stepping across the threshold and down into the Unground. By crossing this boundary you enter a transitional place that exists at the disjuncture between the knowable and the unknown. As Virgil advised Dante at the beginning of his quest into the underworld: “All fear must be left here, and cowardice die.”2 It is essential to abandon caution. Since he has already been evoked, let us take Dante as a mentor whose footsteps may guide our crossing over: with the left foot of will leading, and the feeble right foot of the intellect lagging behind. The rationality and scientific objectivity of the right foot is precisely that which we are resolved to overcome, for the knowledge that we seek is formed by other means. It is dark here in the Unground.

Unground at Casino Luxembourg. Photo: Roger Wagner

The Tower of High Sorcery

The air has thickened and we find ourselves within the first cavern of the Unground. Swelling within this congested space are feverish sounds: the friction of scraping, creaking, and groaning, joined by the metallic clashing and clanging of a machine enduring and struggling to resist catastrophic stress. Projected across the walls of this cavern we see scenes of this machine, the workings of contemporary capitalism, taking place in the world above.

The towering architecture of the City of London and Canary Wharf financial districts surrounds us, causing our perception to shorten, to be rendered lo-fi. Funneling down the walls of the high towers within this contemporary city are elevators that restlessly descend and churn streams of people onto the city streets and into the Underground subway system. This scene might recall the Lumière Brothers’ film of workers exiting the factory, yet this is not a team of proletarians; what we see here is a sea of executives. These are the administrative powers who “have conjured up such gigantic means of production” that they are, as Karl Marx exposes, “like the sorcerer who is no longer able to control the powers of the nether world whom he has called up by his spells.”3 Alienated and paralyzed by their own enslavement, unable to conquer themselves, they lead society further into destruction. Their profits are directly connected to the pharmaceutical industry’s tranquilization of the masses and the agricultural industry’s propagation of monocultures.4 Their policies instigate geological disasters and deny the evidence of global warming. Their oversights have caused international financial collapse. Superimposed onto these scenes of the city are the spell’s vitals, continuously monitored via illuminated signs: these are the scrolling LEDs of the stock market values.

Interruptions, Interventions, and Cinematic Witchcraft

If you, my brave companion and reader, have made it this far into the Unground you are likely questioning what power you have to resist the sorcery which attempts to displace you. As you become increasingly aware of how your individual agency is frequently manipulated and threatened, I hope you will also question how, by reading this text, you are currently inviting the author to interrupt the fluidity of your thoughts. Ask: “Who the hell is writing this exhibition text? Is she a sorceress as well?” And even: “Are the artists also sorcerers?” Well, perhaps; we might be. And so might you. There is no direct path through the Unground. Move freely, in all directions, at once. But first, if it pleases you, allow me to indicate a few more details that exist to incite your participation.

Just as I have now roused your relationship to the artifice of this text, the artists are frequently interrupting your experience of the videos and sounds projected throughout this installation. Rather than directing an authoritative narrative, a single truth, the artists display a collection of ideas for your interpretation. Rather than attempting to supplant your sight with their own, they have manipulated and obfuscated the camera’s lens—necessarily challenging the power and significance of their own images. By incorporating these visual “flaws” the artists display a skepticism towards ocular and Platonic knowledge, they interrupt the camera’s traditional mimetic structure and its rational perspective to draw attention to the physicality and phenomena of sight. The installation stimulates active and experiential interactions that are provoked by the viewer’s individual perceptions. Along this katabasis these visual interventions—referred to by Antonin Artaud as “cinematic witchcraft”—are powerful tools of resistance which defy and subvert the fallacies of “pure cinema” and “objective sight.”5 By opening the artwork you may repurpose it for your personal divinations.

The Geological City

Echoing the commuter’s trajectory from the Tower of High Sorcery into the Underground subway, we descend beneath the city, transitioning into the second cavern. Here two networks surge simultaneously, branching out below the surface: the urban Underground transportation system and the subterranean cave. The mechanical sounds of the city’s bellows no longer groan or swell, for the city has impacted the organic world with a deep fracturing that now burrows throughout the earth’s frozen crust, threatening to erupt. It erupts. A fissure causes visual and sonic pressures to rapidly fire fragmentary glimpses that flash, roll, and thunder as tectonic plates shutter underground. This is the world shifting, becoming-mineral.

Light flares intermittently and disperses across the images projected on the cavern walls, causing the dim outlines of human figures to glow with a problematic intensity. Black ash—of both industry’s excremental soot and of earth’s inner minerals and carbon—is smeared across the camera’s lens, interfering with our perception and creating dissonance and feedback. These ephemeral visual interventions obscure the images with dense black spots. The intense lights and the dark spots intersect, overlap, repulse, and pass through each other. Contrary to the light space of the city above, the darkness here is abstract, tactile, and invisible. Dwelling within this underground cave we perceive the bat creature, inverted scion of the nocturnal underworld and master navigator of darkness, stirring to consciousness.

Darkness and the Contemporary

There is more to this mysterious darkness than we can see. As the psychiatrist Eugène Minkowski describes: “This obscurity is not at all the simple absence of light, as we know it; it has something very positive about it.”6 Darkness is not a blindness or an emptiness; it has a materiality. It is a space that may be filled. It has recesses of depth that may be projected into—physically, acoustically, psychically. Unlike light space, it is not qualitative, mathematical, or analytical—consequentially it offers a revolutionary alternative to the capitalist mode. Darkness is immeasurable and non-geometric. Unlike the clear, public space of the city above, darkness is personal in its relationship to the ego. We cannot perceive it objectively, for we are within it. The ego here “becomes confused with it, becomes one with it.”7 The irrational phenomena of darkness, of lived time and lived space confronts us, it touches us, we experience it. It unfolds within us, it covers us. Through darkness we discover the freedom of life.

The political philosopher Giorgio Agamben refers to the neurophysiology of sight to make a related point, noting that the absence of light does not result in non-vision, but instead activates a series of retinal cells that produce the phenomenon known as night vision.8 Rather than a stasis or inertia, the perception of darkness is an active aptitude. It involves a trained sensitivity to the high-fidelity potential of depth. Agamben deducts that “the contemporary is the person who perceives the darkness of his time as something that concerns him, as something that never ceases to engage him.” And that “Darkness is something that—more than any light—turns directly and singularly toward him.” For “The contemporary is the one whose eyes are struck by the beam of darkness that comes from his own time.”9 Thus, if light space is defined and fixed, dark space is the potentializing element of the not-yet-lived.

A Groundless Eye

I must now take my leave. But before I do, I have one more space to guide you through. Here, in the passageway, or juncture, between two caverns is the pulsating oculi of the Unground, trembling with an inner vitality. Aggressively, ravenously, it feeds and emits crashing waves of light and sound, dilating and contracting in arrhythmic spurts.

The German mystic Jacob Boehme observes of the Unground, or the Ungrund: “Out of nature is the Nothing, which is an eye of eternity, a groundless eye, which stands nowhere nor sees, for it is the Ungrund and the selfsame eye is a will, i.e. a longing for manifestation, to discern the Nothing.” The Unground is atemporal yet bound by time, it is ahistorical yet contemporaneous; it is without gravity, yet it contains within it the most severe weight. The scholar Nikolai Berdyaev expands, quoting Boehme: “The Ungrund thus is the Nothing, the groundless eye of eternity, yet together with this it is will, without foundation, unfathomable and indeterminate will. But this—is a Nothing, which is ‘ein Hunger zum Etwas’ (‘a hunger to be something’).” Of what nature is this ravenous hunger? Berdyaev describes it: “Within the darkness of the Ungrund there is ablaze a fire and this is freedom, a freedom meonic with potential.”10

I Must Leave You …

Beyond this passageway you will encounter four more caverns. Within these spaces you will find yourself in Iceland, near the Eyjafjallajökull and Grimsvötn volcanoes, which have aggressively erupted, purging their potent innards up into the skies and across Northern Europe in a revolting aggression. The surrounding seas and winds stir the atmosphere with vast and terrific intensity. And, under the Vatnajökull ice cap, a cosmic, suprabiological drone resonates.

From here you must travel through, come forth, and emerge, right side downward—the katabasis actualized, empowered with resilient affirmation, and a new hunger for the Unground.

Amelia Ishmael

1 Simone Weil, Gravity and Grace, trans. Emma Crawford and Mario von der Ruhr (Routledge Books, 1947), 34.
2 Dante Alighieri, The Inferno of Dante trans. Robert Pinsky (Farrar, Straus and Girroux, 1994), 19.
3 Karl Marx and Frederick Engels, The Communist Manifesto (International Publishers, 1948), 14.
4 See Philippe Pignarre and Isabelle Stengers, Capitalist Sorcery: Breaking the Spell, trans. Andrew Goffey (Paris: Palgrave and Macmillan, 2011).
5 See Antonin Artaud, “Witchcraft and the Cinema” in Collected Works 3, trans. Alastair Hamilton (London: Calder & Boyars, 1949), 65-67.
6 Eugène Minkowski, in Lived Time: Phenomenological and Psychopathological Studies, trans. Nancy Metzel (Northwestern University Press, 1970), 429.
7 Ibid.
8 Giorgio Agamben, “What is Contemporary?” in What is Apparatus? And Other Essays, trans. David Kishik and Stefan Pedatolla (Stanford, 2009), 44.
9 Ibid., 45.
10 Nikolai Berdyaev, “Studies concerning Jacob Boehme: Etude I. The Teaching about the Ungrund and Freedom,” Berdyaev (Berdiaev) Online Library and Index, trans. Fr. S. Janos (2002), accessed 15 August 2012, http://www.berdyaev.com/berdiaev/berd_lib/1930_349.html. Originally published in Put’ 20 (1930): 47-79.

(Amelia Ishmael is an artist whose practice includes critiquing, historicising, teaching, and curating other artists’ practices. Her areas of specialization are Black Metal art and the history of photography. Amelia’s current projects include curating the traveling art exhibition ”Black Thorns in the White Cube,” and serving as co-editor and curator of pages for Helvete, a journal of Black Metal theory. She has presented her gleanings on Black Metal and contemporary art at the Black Metal Theory Symposium in London, U.K. and the Home of Metal Conference in Wolverhampton, U.K. Ishmael’s writings have appeared in ArtSlant, Art in Print, Art Papers, and Review. She received a BFA in Photography and New Media from the Kansas City Art Institute and a MA in Modern Art History, Theory, and Criticism from the School of the Art Institute of Chicago.)

Booklet page

Gast Bouschet & Nadine Hilbert
Unground

Lorsque les ciels sont noircis de cendre, nous devons descendre. Lorsque nos yeux s’épuisent à rechercher les étoiles, nous devons descendre. Lorsque la flore et la faune sont décimées par le changement climatique, nous devons descendre. Lorsque le chemin le plus direct de la vie est anéanti et le potentiel individuel perdu, nous devons descendre. Lorsque nous ne savons plus quelle sorcellerie envoûte nos systèmes économique, politique et culturel, nous devons descendre. Il faut descendre. S’engouffrer dans le fond. Toujours plus loin, encore et toujours plus bas. Comme l’ingénieur dans la chaufferie, comme le prêtre maya sous le temple, comme le psychologue dans la psyché. Descendre.

Cette catabase, cette descente dans le monde souterrain, a été effectuée par des héros, des guerriers et des philosophes à travers l’histoire. C’est une expédition nécessaire. Puisque, comme l’a dit la mystique française Simone Weil, « ce qui est en bas ressemble à ce qui est en haut. Que ce qui en nous est en bas, a-t-elle ajouté, aille vers le bas afin que ce qui est en haut puisse aller en haut. Car nous sommes retournés. Nous naissons tels1. » En approchant du seuil qui sépare le Casino Luxembourg de ses caves ou « cavernes », nous pourrions faire appel aux braves explorateurs qui nous ont précédés – Osiris, Odyssée, Platon, Friedrich Nietzsche, Carl Jung, Joseph Beuys. Ils pourraient, en effet, nous accompagner.

Dans leur installation alliant son et lumière, les artistes Gast Bouschet et Nadine Hilbert se sont associés aux musiciens Stephen O’Malley et Jason van Gulick pour décrire les terrains énigmatiques de l’Unground dans l’antre des caves/cavernes sous le Casino Luxembourg. Il y a sept cavernes. Dans la première, vous vous trouverez au cœur de l’un des plus grands centres capitalistes de notre époque. Une société de sorciers a lancé un sort qui frappe la majeure partie de ce royaume. Pour observer ses effets, nous devons voyager sous la ville et explorer ses fondations souterraines. S’orienter dans cet espace sombre est une tâche ardue, mais il faut en venir à bout. Vous y rencontrerez des créatures nocturnes vivant dans cette région minérale archaïque. Comme elles, il vous faudra développer une sensibilité clairvoyante à l’inconnu – une intuition souvent étouffée. Il vous faudra ensuite poursuivre seuls, traverser des rivières gelées, affronter des vents primordiaux, pénétrer dans des gouffres volcaniques et s’aventurer au-delà des déserts glaciers. Ces cavernes sont nécessairement fluides, changeantes, déconcertantes. Vous devrez vous frayer votre propre chemin. En cours de route, vous découvrirez les nouvelles réalités et libertés, ainsi que les nouveaux potentiels créatifs de l’Unground,

Franchir le seuil

Le voyage commence par une descente. Il faut d’abord franchir le seuil, puis poursuivre vers le bas, vers l’Unground. En traversant cette frontière, vous entrez dans un espace transitoire qui se trouve au point de disjonction entre le connaissable et l’inconnu. Comme Virgile conseille à Dante au début de sa quête dans l’au-delà : « Il faut se dégager ici de toute peur, que toute lâcheté soit morte au fond du cœur2. » Il est essentiel d’abandonner la prudence. Et Dante, que nous venons d’évoquer, sera notre mentor dont les pas guideront notre traversée : avec le pied gauche de la volonté menant et le faible pied droit de l’intellect traînant derrière. La rationalité et l’objectivité scientifique du pied droit sont précisément ce que nous avons résolu de surmonter, puisque la connaissance que nous recherchons est formée par d’autres moyens. Il fait noir ici, dans l’Unground.

Unground at Casino Luxembourg. Photo: Roger Wagner

La tour de haute sorcellerie

L’air est devenu plus étouffant. Nous nous trouvons à l’intérieur de la première caverne de l’Unground. Des sons fiévreux – la friction de raclements, de grincements et de gémissements auxquels s’ajoute le fracas métallique d’une machine suintant et luttant pour résister au stress catastrophique – enflent l’espace congestionné. Des images de cette machine sont projetées sur les murs de la caverne, mettant à nu les rouages du capitalisme contemporain à l’œuvre dans le monde en surface.

L’imposante architecture des quartiers financiers du centre de Londres et de Canary Wharf nous entoure, entraînant une diminution de notre perception, devenue lo-fi. Canalisés entre les murs des hautes tours de cette ville contemporaine, des ascenseurs descendent sans relâche, déversant des flots d’individus dans les rues de la ville et dans le réseau du « underground », le réseau souterrain du métro de Londres. Cette scène rappelle la sortie d’usine des ouvriers dans le célèbre court métrage des frères Lumière, bien que ce ne soit pas un groupe de prolétaires que nous voyons ici mais une déferlante de jeunes cadres. Ce sont les pouvoirs administratifs qui, selon Karl Marx, ont « fait surgir de si puissants moyens de production et d’échange, [qu’ils] ressemblent au sorcier qui ne sait plus dominer les puissances infernales qu’il a évoquées3. » Aliénées et paralysées par leur propre asservissement, incapables de s’en libérer, elles enfoncent la société plus loin dans la destruction. Leurs profits sont intimement liés à la tranquillisation des masses par l’industrie pharmaceutique et à la propagation des monocultures par l’industrie agricole4. Leurs politiques sont à l’origine de désastres géologiques et nient les signes évidents du réchauffement de la planète. Leurs négligences ont provoqué un effondrement financier mondial. À ces scènes urbaines sont superposés les signes vitaux des sortilèges : les cotes boursières. Elles sont sous surveillance continue, relayées sur un affichage LED qui défile en permanence.

Interruptions, interventions et sorcellerie cinématographique

Braves compagnons et lecteurs, si vous vous êtes aventurés jusqu’ici dans l’Unground, il est probable que vous soyez en train de chercher le moyen par lequel résister à la sorcellerie qui vous pousse à avancer. Alors que vous prenez progressivement conscience de la manière dont votre potentiel d’action individuelle est régulièrement manipulé et menacé, j’espère que vous vous rendrez compte également qu’en lisant ce texte, vous êtes en train d’inviter son auteur à interrompre la fluidité de vos pensées. Demandez-vous : « Qui diable a écrit ce texte d’exposition ? S’agit-il d’un autre sorcier, d’une sorcière ? Et les artistes, sont-ils aussi des sorciers ? » Peut-être bien. Mais peut-être l’êtes-vous aussi. Il n’y a pas de chemin direct à travers l’Unground. Déplacez-vous librement, dans toutes directions simultanément. Mais d’abord, permettez-moi de porter à votre attention quelques détails supplémentaires susceptibles d’encourager votre participation.

Tout comme je vous ai éveillé à l’artifice de ce texte, les artistes aussi interrompent régulièrement votre expérience des vidéos et des sons projetés à travers l’installation. Plutôt que de proposer un récit unique, une vérité unique, les artistes présentent une collection d’idées laissées à votre libre interprétation. Plutôt que de tenter de supplanter votre vision en y substituant la leur, ils ont manipulé et obscurci la lentille de la caméra, mettant ainsi au défi le pouvoir et la signification de leurs propres images. En incorporant ces « défauts » visuels, les artistes expriment leur scepticisme envers la connaissance rétinienne et platonicienne, ils interrompent la traditionnelle structure mimétique de la caméra, ainsi que sa perspective rationnelle, afin d’attirer l’attention sur le phénomène et la physicalité de la vision. L’installation stimule des interactions actives et empiriques qui sont provoquées par les perceptions individuelles du regardeur. Dans cette catabase, ces interventions visuelles – ce que Antonin Artaud appelle « la sorcellerie du cinéma5 » – constituent de puissants outils de résistance qui mettent au défi et subvertissent les idées fausses du « cinéma pur » et du « regard objectif ». En ouvrant ainsi l’œuvre d’art, il devient possible d’en élargir le sens, de la redéfinir en fonction des divinations personnelles de chacun.

La cité géologique

Faisant écho au trajet quotidien des navetteurs, depuis la tour de la haute sorcellerie jusqu’au réseau de l’« underground » londonien, nous descendons sous la ville, passant à la deuxième caverne. Deux réseaux surgissent ici simultanément, se ramifiant sous la surface : le système de transport urbain souterrain et la caverne souterraine. Les sons mécaniques des gémissements et gonflements des soufflets de la ville ne s’entendent plus, car la ville a atteint le monde organique, y laissant une profonde fracture qui traverse désormais la croûte terrestre gelée et qui menace d’entrer en éruption. Et il y a éruption, en effet. Les pressions visuelles et sonores nées de la fissure entraînent une succession rapide d’aperçus fragmentaires qui étincellent, qui grondent et qui tonnent, pendant que des plaques tectoniques vibrent sous terre. Ceci est le monde en mutation, ceci est le monde du devenir-minéral.

Une lumière flamboie de façon intermittente, se disperse sur les images projetées sur murs des cavernes, et fait briller les contours imprécis de figures humaines, révélant une intensité trouble. De la cendre noire – provenant à la fois de la suie excrémentielle de l’industrie et des minéraux internes et du carbone de la terre – macule la lentille de la caméra, interférant avec notre perception et créant dissonance et feedback. Ces interventions visuelles éphémères obscurcissent les images, y déposant des taches noires et denses. Les lumières intenses et les taches sombres se croisent, se chevauchent, se repoussent, et se traversent les unes les autres. À la différence de l’espace lumineux de la ville à la surface, la noirceur ici est abstraite, tactile et invisible. Dans cette caverne souterraine, une créature – une chauve-souris, rejeton « renversé » des enfers nocturnes, maître navigateur de l’obscurité – nous rappelle sa présence.

L’obscurité et le contemporain

Cette mystérieuse obscurité cache plus qu’il n’y paraît. Le psychiatre Eugène Minkowski explique qu’elle n’est pas « obscurité sous forme de nuit noire, d’absence de lumière, mais en ce qu’en elle le “clair” vient se perdre6. » La noirceur n’est ni aveugle ni vide, elle a une matérialité. Elle est un espace pouvant être rempli. Elle recèle des recoins profonds dans lesquels on peut projeter – physiquement, acoustiquement, mentalement. À la différence de l’espace de lumière, elle n’est ni qualitative ni mathématique ni analytique ; par conséquent, elle offre une alternative révolutionnaire au mode capitaliste. La noirceur est immesurable, non géométrique. À l’inverse de l’espace public lumineux de la cité à la surface, l’obscurité est personnelle dans son rapport à l’ego. Nous ne pouvons la percevoir objectivement, car nous sommes en elle. L’ego « s’y perd, mais aussi y prend naissance7 ». Le phénomène irrationnel de la noirceur, d’un espace et d’un temps vécus nous confronte, nous touche – nous en faisons l’expérience. Il se déploie en nous, nous recouvre. Dans l’obscurité, nous découvrons la liberté de vivre.

Le philosophe politique Giorgio Agamben fait référence à la neurophysiologie de la vision pour mettre en lumière une question attenante, notant que l’absence de lumière ne résulte pas en une absence de vision mais active plutôt une série de cellules rétiniennes qui produisent le phénomène appelé la vision de nuit8. Ni stase ni inertie, la perception de l’obscurité est une aptitude active. Elle implique une sensibilité exercée au potentiel haute fidélité de la profondeur. Agamben déduit que « le contemporain est celui qui perçoit l’obscurité de son temps comme une affaire qui le regarde et n’a de cesse de l’interpeller, quelque chose qui, plus que toute lumière, est directement et singulièrement tourné vers lui. Car, poursuit-il, le contemporain est celui qui reçoit en plein visage le faisceau de ténèbres qui provient de son temps9 ». Ainsi, si l’espace de lumière est défini et fixe, l’espace de l’obscurité est l’élément potentialisant de ce qui n’a pas encore été vécu.

L’œil sans fond

Je dois maintenant vous quitter. Mais avant de m’éclipser, il me reste un espace à travers lequel vous guider. Ici, dans le passage, ou à la jonction, entre deux cavernes, se tient l’œil pulsant de l’Unground, qui tremble de vitalité intérieure. Agressivement, voracement, il nourrit et émet des ondes fracassantes de son et de lumière – elles se dilatent et se contractent par jets arythmiques.

Le mystique allemand Jacob Boehme considère ainsi l’Unground, ou l’Ungrund : « En dehors de la nature règne le Néant, qui est l’œil de l’éternité, un œil infini qui est nulle part et qui ne voit rien, car il est lui-même l’Infini ou le Néant, Ungrund. Cet œil est une volonté, un désir de révélation, d’appréhender le Néant. » L’Unground est atemporel, bien qu’il soit lié au temps ; il est anhistorique, bien qu’il soit contemporain ; il est sans gravité, bien qu’il contienne un poids énorme. Le chercheur Nikolai Berdiaeff développe ce propos en citant à son tour Boehme : « Ainsi, l’Ungrund est le Néant, l’œil sans fond de l’éternité, or il est aussi volonté, une volonté sans cause, insondable et indéterminée. Mais ceci est un Néant qui “a faim d’être quelque chose” – “ein Hunger zum Etwas“. » Quelle est la nature de cette faim vorace ? Berdiaeff nous la décrit : « Dans les ténèbres de l’Ungrund s’embrase le feu, et cela est liberté, une liberté méonique de potentiel10. »

Il me faut vous quitter

Au-delà de ce passage, vous traverserez quatre autres cavernes. Au sein de ces espaces, vous vous trouverez en Islande, près des volcans Eyjafjallajökull et Grimsvötn. Ils sont violemment entrés en éruption, purgeant leurs puissantes entrailles, haut dans le ciel et à travers le nord de l’Europe, dans une révoltante agression. Vents et mers alentours agitent l’atmosphère avec une vaste et terrifiante intensité. Et sous la calotte glaciaire Vatnajökull, on entend résonner un bourdonnement cosmique, suprabiologique.

À partir d’ici, il vous faut continuer, avancer et émerger la tête en premier, vers le bas – la catabase est relancée, forte d’une affirmation résiliente et d’un nouveau désir pour le Unground.

Amelia Ishmael

Traduit de l’américain par Jennifer Couëlle

1 Simon Weil, La pesanteur et la grâce, Paris, Plon, 1947, Pocket, 1988, p. 44, 45.
2 Dante Alighieri, La comédie de Dante, tr. en vers et comm. par Eugène Aroux, 1856, Paris, Librairie des Héritiers Jules Renouard, vol. 1, p. 19.
3 Karl Marx et Frederick Engels, Manifeste du Parti communiste, 1848 ; trad. de Laura Lafargue, 1893 ; édition électronique réalisée par J-M Tremblay en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l’Université du Québec à Chicoutimi.
4 Voir Philippe Pignarre et Isabelle Stengers, La sorcellerie capitaliste, Paris, La Découverte Poche, 2007.
5 Antonin Artaud, Sorcellerie et cinéma, 1927. Publié dans le catalogue du Festival du film maudit (Biarritz, 1949), repris dans œuvres complètes, tome III, nouvelle édition revue et augmentée, Paris, Gallimard, 1978, p. 65–66.
6 Eugène Minkowski, « Devant une feuille de papier blanche. Avant-dernières pensées », Revue Philosophique de Louvain, vol. 61, n° 70, 1963, p. 247.
7 Ibid.
8 Giorgio Agamben, Qu’est-ce que le contemporain ?,(Che cos’è il contemporaneo ? [2008], trad. de Maxime Rovere), éd. Payot & rivages, coll. Petite Bibliothèque, Paris, 2008.
9 Ibid.
10 Nikolai Berdyaev, “Studies concerning Jacob Boehme: Etude I. The teaching about the Ungrund and Freedom,” Put’ 20 (1930): 47-79. Trans. Fr. S. Janos (2002), http://www.berdyaev.com/berdiaev/berd_lib/1930_349.html [La traduction française est de nous.]

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REVIEWS / PRESSE

Le broyage des forces occultes

Un tourbillon abyssal, comme dans un rêve tournant au cauchemar.

Malgré les impressions que peuvent laisser le premier contact visuel et auditif, on n’assiste ni à une descente aux enfers, ni à l’apocalypse, ni à la fin du monde, même si on est littéralement happé dans un tourbillon abyssal dans lequel comme dans un rêve tournant au cauchemar, on essaye de se raccrocher à ce qui semble être une réalité humaine entr’apperçue. Physiquement plongé dans le noir quasi absolu des caves du Casino, on éprouve du mal à se repérer correctement là où il faut descendre encore, appelé par les images et les sonorités assourdissantes. L’installation “Unground” de Gast Bouschet et Nadine Hilbert (Luxembourgeois vivant à Bruxelles), présentée dans un site idéal faisant corps avec la réalisation, est une noire menace, un trou noir capable de tout engloutir, qui pèse lourdement, dangereusement sur la planète des hommes, petite poussière de l’univers.

Cette oeuvre magistrale n’est pas à proprement parler métaphorique, elle est plus puissante que celà et se positionne au-delà, dans la part que l’on sait inaccessible et mystérieuse que l’art sonde en défiant les réalités, les sciences prospectives et les imaginaires eux-mêmes. On est pris dans un maelström d’une irréalité angoissante dont il est évident que l’on n’en sortira pas même si, un temps, on parvient à s’en échapper. Filmées en noir et blanc selon un processus qui accentue les effets de noirceur et d’éclairs de luminosité, les séquences qui encerclent le visiteur, caverneuses, peuplées de montagnes, d’animaux nocturnes, de cendres, de roches, de cristaux, de buildings, aussi d’humains, emportent tout dans une fureur sonore en des zones inconnues qui échappent à notre entendement. Le brassage jusqu’au néant des forces naturelles et des pouvoirs temporels bien éphémères. Une grande réussite impressionnante.

(Claude Lorent, La Libre Belgique, samedi 29 et dimanche 30 décembre 2012)

Unground at Casino Luxembourg. Photo: Roger Wagner

7:10:7

I went to Luxembourg for Christmas and stayed there a few days, visiting the town (Vauban fortifications) and its museums (they really got great museums). This is where I met the astonishing works of Gast Bouschet and Nadine Hilbert.

In the MUDAM, there was their installation for the Luxembourg Pavilion at the 2009 Venice Biennale, called “Collision Zone”, depicting the gloomy zones of the Mediterranean area, where two worlds collide, Africa and its (illegal) immigrants, and the “fortress Europe” with its more and more restrictive politics about immigration.

In the Casino Luxembourg there was just an installation left, called “Unground”. I immediately felt their distinctive mark, and the sound was also something I thought I knew but didn’t recognize at first. I learnt shortly after that it was a collaboration with Jason Van Gulick and Stephen O’Malley (Sunn O))), Khanate, Thorr’s Hammer…)! It was made over a nearly two year period after the eruption of the icelandic volcano Eyjafjallajökull in 2010. The videos range from the London’s City, where the new sorcerers (i.e. bankers, traders etc…) make their black rituals, to the frozen landscapes of Iceland where the ice turned black because of the volcano’s ashes. The music sounds like a chthonic ritual, the video looks like it was taken from the eyes of an antediluvian creature… Astounding, mesmerizing, frightening… mandatory!

http://seventenseven.blogspot.fr/2012/12/gast-bouschet-nadine-hilbert.html

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Gast Bouschet et Nadine Hilbert – Unground

Du 8 décembre au 6 janvier, les artistes luxembourgeois Gast Bouschet et Nadine Hilbert investissent les recoins les plus sombres du sous-sol du Casino pour leur exposition justement nommée Unground. Le couple a passé plus de deux années à filmer les cols blancs des quartiers financiers de Londres et les paysages lunaires d’Islande. Le résultat final évolue autour d’une dizaine d’installations audio et vidéo à la fois dérangeantes, angoissantes et merveilleusement irrévérencieuses. Les deux activistes m’ont invité, en avant première, à pénétrer une petite demie heure dans leur antre.

Gast et Nadine envahissent entièrement, et pour la première fois, la partie underground du Forum d’art contemporain de la rue Notre Dame. Les caves lugubres, les plafonds bas et le dédale de pièces humides concordent parfaitement avec leur désir de dénoncer ou, du moins, de mettre en exergue la fragilité du monde capitaliste, notamment par rapport à la puissance suprême de la Terre.

Le duo symbolise le système financier par des images tournées dans la capitale anglaise en mode guérilla (pour reprendre leur expression) dans les quartiers de la « City » et de Carnary Wharf. « Nous avons été interpellés de nombreuses fois. Les services de sécurité nous soupçonnaient de préparer un attentat à la bombe car nous filmions en caméra cachée (rires) ». En 2010, en plein repérage à Londres, Gast et Nadine ont été fasciné par l’éruption du volcan islandais Eyjafjöll. Le nuage de cendres a immobilisé, dans un énorme chaos, tous les aéroports pendant plusieurs jours. Pour marquer le coup, ils ont jeté de la poussière volcanique avec de la vaseline sur leurs objectifs de caméra afin de matérialiser cette force naturelle qui trouble notre société hautement developpée. « Si on perturbe la perception d’un monde, on perturbe ce monde. Nous proposons une résistance par l’image. La société de consommation n’est pas la seule réalité sinon nos existences seraient un enfer (rires). Il existe heureusement d’autres alternatives. C’est également important pour nous d’exposer à la maison, chez nous à Luxembourg, un des pays qui matérialise le plus les déviances du fric ».

Gast et Nadine semblent agir tels des beatniks même s’ils s’en défendent ardemment : « nous pensons que l’art doit véhiculer un aspect dangereux, ce n’est pas une position très hippie ». Le couple a quitté Dudelange pour la capitale belge au début des années 80, afin de fuir l’ennuie du Grand-Duché de l’époque. « Nous voulions vivre la ville, consommer l’art contemporain. Nous avons même ouvert un bar punk à Bruxelles ». Les deux artistes s’y connaissent d’ailleurs très bien en musique. Ils ont invité Jason Van Gulick et Stephen O’Malley, deux références de la scène concrete et drone, à concevoir l’habillage sonore de leur exposition Unground. L’américain O’Malley fait partie des groupes KTL et Sunn O))), deux mastodontes de la scène drone internationale. Les deux musiciens livreront un live très attendu au Casino, au milieu des installations, le vendredi 4 janvier, l’occasion inespérée de s’immerger totalement dans l’univers passionnant de Gast et Nadine.

(Sébastien Vécrin, Luxuriant Magazine, décembre 2012)
http://www.luxuriant.lu/2012/12/gast-bouschet-nadine-hilbert-unground/

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Les cavernes d’en bas

Avec “Unground”, Gast Bouschet et Nadine Hilbert investissent les caves du Casino, pour une descente dans les profondeurs terrestres, au propre comme au figuré.

Avec cette étonnante installation audiovisuelle, le duo d’artistes livre une vision noire et poétique de notre monde moderne, invitant à pénétrer et célébrer celui d’en dessous, caractérisé par une nature indomptable.

Au CNA, au sein de l’exposition collective “Fremdgang”, Gast Bouschet avait donné un aperçu du travail qui l’habitait – tout comme sa binôme Nadine Hilbert – depuis deux ans. Deux, trois photos, sombres et habitées, entre clair-obscur et sinistre poésie, et surtout un discours véhément, où il témoignait de “cette étrangeté que l’on ressent à l’égard de la réalité politique et économique contemporaine”. Un an après, ce sentiment s’étale dans une imposante installation audiovisuelle, dispersée dans les caves du Casino, humides et froides. Un endroit idéal pour une invitation à perdre ses repères.

Dans une avancée à tâtons à travers l’obscur dédale, cherchant l’appui salvateur, en équilibre face au chaos musical proposé par ces bidouilleurs sonores que sont Jason van Gulick et Stephen O’Malley, aux infrabasses déstabilisantes, la balade est ici physique. Rien n’est laissé au hasard avec “Unground”, fruit d’une épopée entre Londres et l’Islande, entre l’empire financier carnassier, aveugle, et la nature dans son aspect le plus brut, intact. Deux univers bien distincts, liés ici dans une réalisation opaque et grisâtre. Masse brumeuse. Soleil noir.

L’agitation d’en haut, la quiétude d’en bas

L’idée est née d’un fait divers en 2010, avec l’éruption du volcan Eyjafjöll et le nuage de cendres qui en résulta, paralysant le trafic aérien européen. Fascinés par l’impact énorme qu’ont les forces naturelles sur le déroulement des affaires humaines, Gast Bouschet et Nadine Hilbert ont voulu signifier visuellement cet état de fait en apposant de la poussière volcanique et de la glace à même l’objectif. Les dix écrans, disposés ici et là, témoignent de cette orientation postapocalyptique hypnotique.

Voilà pour la forme. Le fond, lui, met face à face l’homme – et ses comportements déviants – et la nature. “Unground” débute ainsi avec des séquences prises – parfois en caméra caché – au coeur du quartiers financier de la City et de Canary Wharf, avec ces armées de cadres, hommes pressés tirés à quatre épingles, transformés en guerriers sans visage sous l’objectif de Gast Bouschet et Nadine Hilbert. Reste le flux silencieux et omniprésent, qui, dans un mystérieux brouillard, évoque les soubresauts fous de l’économie mondiale.

L’invitation est donc à la descente, en prenant sa respiration et en plongeant dans les abîmes préservés mais aussi inquiétants, avec leur lot de chauves souris, vigiles monstrueux et autres peuplades farouches. Plus on s’enfonce dans les recoins de la cave, plus la vie citadine s’éloigne pour laisser place aux paysages volcaniques, cavernes, glaciers et autres terrains vagues d’Islande. Un panorama qui unit, et oppose tout à la fois, la précarité quotidienne de la finance contemporaine et la nature dans sa force la plus brute, son expression la plus primaire.

Du coup, l’homme et son agitation frénétique, à la poursuite d’un capitalisme affranchi de toute morale, semble bien dérisoire et insignifiant face au temps et à l’espace quasi figé qui règne dans ce monde des ténèbres. En surface, les bouleversements climatiques, politiques et sociaux tranchent avec cette quiétude d’en bas, qui, dans un rythme tout en lenteur, supporte et tolère ceux que la piétinent. Et, au final, c’est elle qui aura le dernier mot. Question de cycle.

Surtout que la nature, frappant au hasard, sait se montrer menaçante, rappelant, au besoin, qu’une certaine humilité est nécessaire face à son règne tout-puissant. Sinon, la punition risque d’être sévère. “Unground”, c’est aussi ça: la fausse tranquillité d’un monde sous-terrain qui, du jour au lendemain, pourrait tout remettre à plat. Car, oui, le feu couve dans le royaume abyssal, comme en attente d’un explosif feu d’artifice. Le négatif d’un grand final.

(Grégory Cimatti, Le quotidien 13.12.2012)

Unground at Casino Luxembourg. Photo: Roger Wagner

Abtauchen in die eigene Unterwelt

Mit seiner audiovisuellen Installation entführt das Künstlerpaar Gast Bouschet und Nadine Hilbert sein Publikum dieses Mal in eine neue künstlerische Dimension. Der Weg in den Keller des Casino Luxembourg ist gleichzeitig auch ein Abtauchen in die Tiefen der eigenen Welt.

An das Provisorium des “Casino Forum d’art contemporain” ist man nach 17 Jahren gewohnt. Die unvollständige Vertuschung des Alten durch hingestelltes Neues gehört zum Charme des Ortes. Es wird ja auch gerne und oft in die Ausstellung eingebaut. Mit der Einrichtung “Unground”, die von den beiden Künstlern speziell für die Räumlichkeiten konzipiert wurde, kommt jedoch eine weitere Dimension hinzu. Es geht in den Keller des Gebäudes.

Dieser Weg versteht sich als Abstieg in die eigene verbogene Welt. Es wird aber nicht nur durch diese persönliche Dimension zum Erlebnis. Wie viele Gebäude der Innenstadt hat auch der Casino einen alten, gewölbten Keller. Sein Höhlencharakter passt perfekt zu dem mystischen Universum, das das Künstlerpar geschaffen hat.

Weltanschauung

Gast Bouschet und Nadine Hilbert haben zwei Jahre lang in London und auf Island gedreht. In der City haben sie die Akteure der Finanzwelt festgehalten, sowie die riesigen Passantenströme die die urbane Welt generiert. In Island haben sie den Ausbruch des Vulkans Eyjafjallajökull dokumentiert, der 2010 den europäischen Flugverkehr lahmlegte.
Damit wollten sie uns vor Augen führen, wie die Natur den Menschen noch immer im Griff hat. Eine Dimension, die der im Schnee steckende Besucher am gestrigen Freitag besonders gut nachvollziehen konnte. In zehn verschiedenen Projektionsinstallationen veranschaulichen die Künstler ihre persönliche, philosophische Weltanschauung. Um sie zu verstehen muss man sich reichlich Zeit für den Besuch nehmen, muss Ort, Bilder und nicht zuletzt die Musik auf sich einwirken lassen. Bouschet und Hilbert begreifen ihr Werk in der Tat als “Arbeit über die tiefe Krise der Wahrnehmung, die wir gegenwärtig erleben”. Tatsächlich darf man die Installation aus zehn verschiedenen Projektionen nicht nur betrachten.

Der Zuschauer muss sich mit ihr auseinandersetzen. Er muss sich reichlich Zeit nehmen, um die Gegensätze zwischen der Finanzwelt und den Naturgewalten zu entdecken, er muss die mit Vulkanstaub und Eis denaturierten Bilder hinterfragen, deuten und verstehen. Er muss sich mit der philosophischen Weltanschauung der Künstler auseinandersetzen, die Musik von Jason von Gulick und Stephen O’Malley auf sich einwirken lassen. Sie rundet zwar das Kunstwerk ab, macht durch ihre Intensität diese Hinterfragung nicht einfacher. Liebhaber experimenteller Musik kommen am 4. Januar auf ihre Kosten, wenn die beiden Musiker live in der Ausstellung auftreten.

Das aus Luxemburg stammende und in Brüssel lebende Künstlerpaar nimmt uns mit “Unground” nicht mit in die Welt der schönen Künste. Es lässt uns vielmehr teilnehmen an seiner eigenen, kritischen Auseinandersetzung mit den gesellschaftlichen, politischen und institutionellen Fragen unserer Zeit. Seine Installationen waren in der Vergangenheit schon in Südkorea, Angola und Johannesburg zu sehen. Auch im Casino Luxembourg haben sie bereits ausgestellt, nicht zuletzt weil die Zusammenarbeit mit dem künstlerischen Direktor Kevin Muhlen, hervorragend läuft.

(Claude Wolf, Tageblatt, 8 Dezember 2012)

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Contrastes en sous-sol

Généralement, lors d’une exposition, les artistes préfèrent que leurs travaux soient en pleine lumière, dans les meilleurs espaces de l’institution qui les invite. Ce n’est apparemment pas le cas pour le binôme artistique composé de Gast Bouschet et Nadine Hilbert, qui a choisi d’investir les espaces les plus sombres du Casino et ainsi mêler ses images à l’architecture souterraine du lieu en nous proposant avec une exposition éloquemment intitulée “Unground” une plongée dans les caves historiques du Forum d’art contemporain.

Rapidement, le parcours qui s’impose au visiteur prend quelque peu l’allure d’une promenade spéléologique dans les grottes et cavernes humides où en lieu et place de peintures rupestres nous découvrons une dizaine d’installations audio-visuelles percutantes, engagées, un brin angoissantes. En somme, tout à fait dans l’esprit hors-norme et “militant” de Gast Bouschet et Nadine Hilbert.

Leurs travaux sont le fruit de deux ans d’immersion au coeur du quartier d’affaires de la “City” et de Canary Wharf, mettant en scène les acteurs de la finance, le flux agité d’une population au sein du milieu urbain. Deux ans durant lesquels le binôme a filmé les cols blancs et les chapeaux melons. Ces séquences nous accueillent au début de notre déambulation et très rapidement, nous appréhendons leur portée dénonciatrice et évocatrice de la fragilité et de l’instabilité de notre monde capitaliste par l’usage du noir et blanc, des soubresauts des images et du flou.

Repères visuels mis à mal

Plus nous pérégrinons dans le dédale obscure des caves, plus l’effervescence urbaine s’éloigne afin de laisser place à d’âpres images sauvages de paysages islandais. La nature s’impose alors à nous dans sa force brute, dans sa toute puissance en parfait contraste avec les vues précédentes où la fatuité et la corruptibilité du monde financier était palpable.

Gast Bouschet et Nadine Hilbert ont choisi de nous offrir ces images islandaises car ils ont été fasciné par l’incroyable impact qu’ont eu sur le trafic aérien et conséquemment sur l’économie, l’éruption du désormais célèbre volcan Eyjafjöll et son nuage de cendres au printemps 2010. L’effet papillon de l’éruption volcanique a indéniablement plongé le monde dans le chaos. Ce déclenchement inopiné des fureurs de la nature a bouleversé le déroulement des affaires humaines et le couple d’artistes a voulu signifier visuellement cette symbolique en apposant de la poussière volcanique et de la glace à même l’objectif avant tout filmage. Ce procédé engendre des zones noircies, voire opaques dans les images, conférant une vision floue et non transparente aux prises de vues, mettant à mal nos repères visuels.

En somme, un tel caprice de la nature revécu en sous-sol perturbe nos propres sensations et notre perception. Impression rehaussée par la mise en musique des images due à Jason van Gulick pour les séquences londoniennes et à Stephen O’Malley pour la deuxième partie de l’exposition dans un but de confrontation de deux univers musicaux bien distincts. Les rythmes saccadés de la batterie de van Gulick, prompts à provoquer une transe, mettent en musique l’agitation urbaine, alors que les mouvements lents et mélancholiques d’O’Malley accompagnent les paysages rudes d’Islande.

Notons qu’un concert-performance des deux musiciens aura lieu au Casino le 4 janvier 2013.

(Nathalie Becker, Luxemburger Wort, 22 décembre 2012)

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Beauté Terrible

“Unground”, montage d’images vidéo, est un projet qui a pris son temps: né dans un volcan, puis transposé dans le quartier financier de Londres et, enfin, projeté dans les caves du Casino Luxembourg. Frisson(s).

Oui, le projet a pris son temps. Il est le fruit d’une étroite concertation entre “l’éditeur” (le Casino Luxembourg) et le créateur, qui, en l’occurence, est double, puisque les artistes Gast Bouschet et Nadine Hilbert fonctionnent en duo depuis les années 90. Unground ne relève donc pas du simple accueil-collage d’une proposition artistique lambda dans un lieu tout aussi lambda.

En même temps, le tandem Bouschet & Hilbert n’est pas inconnu des publics luxembourgeois (ni des autres) puisqu’il a représenté le Luxembourg à la 53ème Biennale avec l’installation Collision Zone (pour l’heure, réactualisée au Mudam à l’occasion de l’expo The Venice Biennale Projects), une suite d’images vidéo tournées près du détroit de Gibraltar et sur les côtes de Sicile et dont le point de départ esthétique (ou géologique, par entrechoc de plaques interposé) nourrit une réflexion socio-politique, liée au droit à l’immigration.

Aujourd’hui Unground désigne une installation d’une dizaine de films vidéo. Dont le premier mérite est déjà de nous permettre d’explorer les caves du Casino Luxembourg. Les caves sont historiques autant que l’expérience est unique.

On descend au sous-sol comme dans une caverne, on y progresse comme un spéléologue… mais encordé à des images qui cultivent la métaphore d’une plongée dans les profondeurs d’un monde particulier. Pour le moins noir. Noir comme on le dit d’un cataclysme. Et pour parfaire la couleur, il y a le son, parfois métallique (dû au batteur Jason van Gulick), parfois sourd (signé Stephen O’Malley), souvent saturé. Une ambiance sonore aussi évolutive que le visuel et qui, non contente de parfaire “l’immanence tragique”, nous enveloppe tous et chacun. Bref, l’immersion est totale. Au sens figuré et propre, notamment sensoriel. D’ailleurs, ça donne froid dans le dos.

FORCE OBSCURE

Pourtant, initialement, avec sa charge symbolique liée au mythe, une grotte, c’est beau. C’est aussi un territoire protégé. En témoignent les chauves-souris. Insectivores. Mais victimes de la superstition (d’ailleurs persécutées au Moyen Age). Et capables une fois que l’on dérange leur sommeil ou leur écholocation de sortir leurs griffes et leurs molaires très pointures. Voilà les différents niveaux de lecture d’Unground, digne d’une parabole. L’allégorique Unground a quelque chose de sacrificiel (la cendre mêlée à la fonte d’une stalactite suggère ainsi le sang qui coule), de l’ordre du mystère médiéval mais aussi de l’archaisme (à l’exemple de certaines ombres déformées d’éléments architecturaux).

C’est tout autant une espèce d’hybridation entre la grotte de Platon et une fiction à la Murnau. Sauf que le ton est davantage critique que philosophique et que le tout se réclame non du fantastique mais du réel. Un réel foncièrement anthracite. Et pour cause, l’impulsion originelle du projet, c’est l’éruption en 2010 du volcan islandais.

Le second lieu en lice est, ensuite, le coeur financier de la “City” et de Canary Wharf, ce quartier d’affaires d’une quarantaine d’hectares en bordure de Tamise, situé dans l’est londonien. Avec ces immeubles qui s’effondrent dans le fleuve ou qui s’y reflètent comme des stalactites à l’envers. Avec ses costumes-cravates qu’avale le métro ou qui squattent le boyau souterrrain comme des chauves-souris. Dans les deux cas, c’est violent. Avec cette beauté toujours soluble dans la cruauté.

Dans les vues de Londres, l’imagerie volcanique est omniprésente, la cendre maculant tous les angles. Pour autant, impossible de trancher: cette agitation – les images sont parfois stroboscopiques, avec, récurrent, un ersatz de big bang qui est en fait un oeil explosé en millions de flashs – , cette agitation, donc, dit-elle l’origine de notre monde ou la fin? C’est dans cette incertitude que réside notamment l’intérêt d’Unground.

Ce qui est clair, ce sont les excès dont sont également capables/coupables les deux univers en présence, celui de la nature et celui de l’Homme. Rupture il y a sans doute entre les deux, toutefois, l’apocalypse ne serait pas la bonne lecture du travail. Unground met plutôt à l’oeuvre une force obscure, une dynamique qui rythme autant le règne minéral (enfoui et parfois humain) que la société (visible et parfois animale). Sauf que ce sont des rythmes différents. Reste à savoir lequel gagnera sur l’autre…

(Marie-Anne Lorge, le Jeudi, 13 décembre 2012)

Unground at Casino Luxembourg. Ten channel video and sound installation. Photo: Roger Wagner

Les caves du Casino
Gast Bouschet et Nadine Hilbert associent bruit politique actuel et murmures archaiques redoutables.

Howard Philips Lovecraft était un homme bizarre, un autodidacte reclus, qui n’a jamais vraiment connu le succès littéraire. De son vivant, ses fragments de roman et ses histoires courtes étaient publiés comme des romans de gare. Et ce n’est qu’après 1945 aux Etats-Unis, et bien plus tard en Europe, que l’on a redécouvert le travail d’un auteur qui a créé une nouvelle mythologie fantastique et fondamentalement antimoderne. En relisant les récits de cet évrivain nocturne, on retrouve la fascination que peuvent exercer des descriptions de lieux reculés comme les déserts de glace de l’antarctique dont Jules Verne et Edgar Allen Poe avaient déjà fait les décors de récits sombres et désespérants. L’approche rationnelle des héros de ces histoires est mise à l’épreuve d’une topographie qui devient de plus en plus irrationnelle. Et cette peur de l’inexplicable, d’une menace souterraine, dont Lovecraft avait fait fil rouge de ses histoires est un point de départ pour comprendre les mises en scène de Gast Bouschet et Nadine Hilbert.

Dans leur exposition récente au Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain, les artistes luxembourgeois qui vivent et travaillent à Bruxelles ont utilisé les caves de l’ancien casino bourgeois pour y installer une série de projections vidéo associées sous le titre de Unground. En 2010, l’éruption du volcan islandais Eyjafjallajökull avait non seulement bloqué le trafic aérien international, mais les cendres du volcan avaient également transformé les glaciers islandais en paysage lunaire. Les artistes ont utilisé cet évènement pour y réaliser toute une suite d’images qui ont servi à recomposer une descente aux enfers qui mène de l’urbanité de la place financière de Londres aux sous-sols islandais. L’image d’Epinal d’une Islande comme paradis naturel s’était transformée en paysage post-apocalyptique.

Comme pour Collision Zone, leur contribution à la biennale de Venise en 2009, qui est actuellement visible à la rétrospective des participations luxembourgeoises à la biennale d’art au Mudam, Gast Bouschet et Nadine Hilbert associent des notions de politique et de géologie pour obtenir le sentiment profond de la synchronicité d’un bruit politique actuel et de murmures archaïques bien plus sombres et peut-être plus redoutables. Les interprétations des artistes sont originales: associer le boursicotage contemporain à une espèce de sorcellerie moderne? Pourquoi pas. Mais la chute du système, la résurgence de forces profondes qui restent incontrôlables, sont autant d’éléments d’un discours artistique qui revendique une politique plus instinctive. Celle de la subversion permanente par des moyens plastiques.

La grande force des installations de Gast Bouschet et Nadine Hilbert réside dans l’orchestration des moyens du son et de l’image avec le message de l’oeuvre. Ces ensembles sont construits pour faciliter l’immersion du spectateur dans un environnement qui se déconnecte complètement de l’institution qui l’expose. En visitant Collision Zone au Mudam, on peut complètement oublier l’architecture surfaite du lieu. Au Casino, les caves ont un caractère pittoresque que les artistes ont pu éviter en créant un univers autonome et original qui ne reniait rien de son côté spectaculaire. Et cette force de l’esthétique chez Bouschet & Hilbert n’a rien à envier aux adjectifs exagérés de Lovecraft: elle vous entraîne dans un tourbillon visuel et sonore qui fait d’une simple visite d’exposition une expérience bien plus passionnante.

(Christian Mosar, d’Lëtzebuerger Land, 11. 01. 2013)